Par Bady BEN NACEUR L'air du temps n'est plus à la gaieté et la chape de plomb, prévisible depuis quelques mois, est en train de nous tomber sur la tête. L'un des symptômes le plus palpable, comme lorsque le médecin ausculte un corps malade, en est l'état d'anxiété et de peur. Oui, la peur vient de se réinstaller dans l'esprit déjà intranquille du Tunisien. Dans son esprit atrophié et dans son corps soumis à des tensions et des convulsions. A l'origine de cet état, il y a le mensonge qui est venu, comme ça, s'infiltrer, s'immiscer sournoisement dans la vie courante du citoyen. «Le mensonge, selon Le Petit Robert, c'est l'assertion sciemment contraire à la vérité, faite dans l'intention de tromper». Le mensonge est-il essentiel à l'humanité, comme le déclarait aussi Marcel Proust? Plus près de nous, et à la lumière de cette inespérée révolution du 14 janvier, c'est le mensonge politique —loin, très loin de la réalité socioéconomique et culturelle dans laquelle nous pataugions— qui est venu faire sa mise en scène pour donner libre cours à ses lubies, sous l'habit emprunté du déguisement. Le déguisement est la forme de mensonge la plus visible et la plus dangereuse, parce qu'elle est la plus apte à terrifier les individus que nous sommes. A ébranler tout notre système mental, déjà mis à rude épreuve, depuis des décennies. Plus près de nous, et à la lumière de cette inespérée révolution, révolution pour la liberté et la dignité, c'est ce «machin», la Troïka, qui est venue nous installer dans un mensonge conventionnel. La Troïka ou, plutôt, le «triumvirat», puisque cette association à trois têtes pourrait durer, nous a-t-on signifié, par... à-coups, quelque trois bonnes années encore. Peut-on établir une Constitution avec trois têtes et dont l'une, pas forcément plus pensante que les autres, se trouve être plus agissante, y compris par la force et même l'intolérance. Chez nous, le mensonge est, donc, passé du déguisement à l'intolérance. Et puis, voilà, déjà, les premiers éclats de l'inquisition contre la culture et les arts, les journalistes et les médias, Sejnane et les pauvres potières, au nom de «l'interdit figuratif», etc. La Troïka, c'est le «tout le monde gouverne» ou presque, selon l'ordre établi par les élections du 23 octobre et sur lesquelles il y aurait beaucoup à dire. Et, dans la Chambre, dans l'enceinte, dans l'hémicycle, on veut nous faire croire qu'il s'agit d'une assemblée de sages, pleins de bonnes vérités, propices à nourrir notre nouvelle Constitution. Les bouts de vérité fusent de toutes parts, y compris celle de monsieur Chourou qui prend nos citoyens pour des bêtes de somme, prêts à l'abattage! Comment, dès lors, soutenir un mensonge qui émane de cette «honorable» institution même? Il paraît, d'ailleurs, que le nouveau gouvernement a ses bons secrets mais qu'il doit, comme dans la tradition de la bonne gouvernance, cacher jusqu'à une date propice. Avouez que c'est agaçant, à commencer par les gens des médias que nous sommes. Nous, les médians «ceux qui — selon la définition —, joignent les milieux des côtés opposés». Oui, mais que fait le peuple dans tout ce fourbi? Serait-il l'étranger aux affaires de la Cité, du pays? Et toute cette jeunesse qui attend désespérément un message clair, des promesses tangibles, un espoir sûr et certain pour retrouver le chemin de la liberté et de la dignité? On ne peut plus la bercer indéfiniment d'illusions, c'est-à-dire de mensonges, comprimer son cœur duquel a coulé le sang de sa révolution. On nous a fait comprendre à nous, les médians, qu'il ne fallait plus dire tout haut, ce que ce bon peuple pense et se dit tout bas. Et pourquoi? Jusqu'à quand allons-nous nous mentir encore? Il ne faut plus laisser de place à la censure. Et encore moins à l'autocensure. Voilà le vrai problème…