Par Amin BEN KHALED • «Les idées audacieuses sont comme les pions qui avancent aux échecs; ils peuvent être pris, mais ils peuvent aussi démarrer une partie gagnante». Goethe De l'avis général, la Constituante est aux mains de la Troïka. Cette dernière détient à elle seule pratiquement les deux tiers des sièges. Pour autant, cette majorité puissante, pratiquement renforcée, peut-elle faire la pluie et le beau temps au sein de l'Hémicycle ? Pas si sûr. Car à voir de près, et si on se réfère à la «Petite Constitution», c'est-à-dire la loi n°6 du 16 décembre 2011 organisant les pouvoirs publics temporaires, on s'aperçoit qu'il convient de nuancer l'opinion générale selon laquelle la Constituante n'est qu'une instance verrouillée et complètement contrôlée par les députés du mouvement Ennahdha et ses alliés. En effet, l'une des prérogatives de la Constituante est celle de produire des lois. Il s'agit aussi d'une prérogative législative accordée par notre «Petite Constitution» au gouvernement. Ce dernier est appelé durant son mandat à proposer des textes juridiques qui seront discutés et naturellement approuvés au sein de la Constituante. Ici, l'approbation est quasi-certaine, attendu que le gouvernement émane de la majorité des élus. Cependant, tout le monde a tendance à oublier que cette arme puissante (c'est-à-dire les projets de loi) n'est pas exclusive au gouvernement. Car le texte donne aussi la possibilité à dix élus au minimum de faire de même. D'aucuns diront que si les projets émaneront de dix élus ne faisant pas partie de la majorité, il y aurait peu de chances que lesdits projets soient approuvés par la Constituante. Rien n'est plus vrai, mais tout de même ces dix élus «hypothétiques» peuvent proposer des projets de loi qui obligeront la majorité à prendre des positions claires et sans équivoque devant leurs confrères et surtout devant le peuple tunisien. Ainsi, par exemple, il était possible tout récemment à dix élus de proposer un projet de loi amendant le code pénal en augmentant la peine prévue pour le délit de profanation du drapeau national ou celui relatif à l'appel à la haine contre une partie de la population tunisienne. De tels projets, s'ils se voient refuser par la majorité, donneront une idée sur les motivations de cette dernière. Par conséquent, les dix élus peuvent d'une manière indirecte tester les intentions de la majorité (et par ricochet le gouvernement) en avançant un ou plusieurs pions obligeant «le camp adverse» à réagir. Garry Kasparov, sans doute le plus grand joueur d'échecs de tous les temps, disait que lorsqu'il se trouvait face à une position inexpugnable et figé, il n'hésitait pas à sacrifier certaines pièces dans l'espoir de voir ses adversaires, aveuglés par un gain possible, de réagir d'une manière maladroite et par-là rétablir un nouveau rapport de force plus dynamique sur l'échiquier. La position de la majorité au sein de la Constituante est-elle inexpugnable ? Pas évident si dix élus se mettent d'accord pour essayer de rétablir un autre rapport de force en proposant des projets de loi qui obligeraient la Constituante à prendre des positions claires devant le peuple tunisien, devant le monde et devant l'histoire.