Relisez Nietzsche, cela vous fera du bien. D'ailleurs, j'emprunte le titre de la rubrique de ce jour à ce grand philosophe et psychologue que nous ne comprenions pas très bien sur les bancs de l'école, à la lumière de ses pensées et aphorismes, à la fois brillants et profonds : «Notre dernière gratitude envers l'art!» C'est pas beau ça? Et quelle humilité! Quelle bonté pour l'art! «Le gai savoir» de cet auteur, sans doute le plus lu et le plus disputé, est tout entier, une fête de l'esprit qui se propage subitement, après une longue privation.(1) Cette même fête de l'esprit et des sens, c'est aussi celle-là même que cherchent à vivre pleinement nos artistes, depuis que le tsunami de la révolution du 14 janvier s'est propagé à travers toute la planète. Et j'allais dire: malgré les empêcheurs de s'exprimer, ceux qui prennent nos artistes pour des mécréants! Voici d'ailleurs le témoignage de Nietzsche à ce sujet : «En tant que phénomène esthétique, l'existence nous reste supportable, et l'art nous donne les yeux, les mains, surtout la bonne conscience qu'il faut pour pouvoir faire d'elle ce phénomène au moyen de nos propres ressources», et d'ajouter : «Il faut de temps en temps que nous nous reposions de nous-mêmes, en nous regardant de haut, avec le lointain de l'art, pour rire ou pour pleurer sur nous (…) Il faut que nous soyons heureux, de temps en temps, de notre folie, pour pouvoir demeurer heureux de notre sagesse».(2) Pour cela, il faut «dédiviniser» la nature en commençant à nous rendre naturels, à nous «naturiser» en tant qu'hommes «avec la pure nature, la nature retrouvée, la nature délivrée». Alors que ces empêcheurs de s'exprimer, disions-nous, ces congélateurs de la pensée ardente, ces négationnistes de la vie, de la nature-culture, cherchent à stopper les élans d'une jeunesse de plus en plus enthousiaste qui cherche à vivre la vie d'ici-bas. Même si «la vie n'est qu'une variété de mort et une variété très rare». En plein midi, sous le soleil vertical, face au Grand Bleu, ce bleu de la Méditerranée, mer nourricière de tant de peuples, comment peut-on chercher l'obscurité ? Les drapeaux noirs du malheur, les voiles de la fausse pudeur et du mensonge? Comment peut-on, à ce point, brûler les cartes de la navigation terrestre? Des saisons? Refuser de sentir son corps sur cette bonne terre ferme sur laquelle nous marchons depuis des milliers, des millions d'années ? Nous retrouvons les mêmes pensées, les mêmes idées dans «Noces» d'Albert Camus et l'attitude de Heidegger, lorsque Arendt, sa future compagne et psychanaliste illuminée, lui demandant son adresse, il lui répondit ceci : «J'habite chez moi. Mon corps c'est ma maison et je promène ma maison où je l'entends». Comment peut-on s'en prendre, aujourd'hui, à la «maison» de l'artiste, à son intégrité corporelle et mentale ? Quelle nouvelle dictature est-on en train de préparer aux artistes au nom d'une fallacieuse idéologie de croyance trouble et tellement erronée ? Encourageons plutôt les arts et ces artistes qui nous aident à mieux vivre et soyons pleins de gratitude envers eux. ————————— (1) Après une longue maladie, Nietzsche retrouve sa pleine sensibilité à travers «Le gai savoir», œuvre de la dernière étape de sa jeunesse… (2) Pensée n°107, p.150 in «Le gai savoir» (Idées NRF)