Par Hassen Chaari * « La nature punit tous ceux qui arrivent tard ». Dicton chinois Le gouvernement provisoire procède actuellement «un peu à la hâte» à une consultation ouverte concernant l'organisation des horaires de travail dans l'administration et les entreprises publiques. Or une réforme dans ce domaine devrait impérativement prendre en considération plus d'un facteur car, organiser le temps de travail dans l'administration affecte inéluctablement l'ensemble des secteurs de la vie économique et sociale du pays. En effet, cela touchera la productivité du travail administratif, ainsi que celle des activités économiques privées, l'organisation de la vie familiale, celle des écoles et lycées, celle de la vie culturelle et des loisirs, les relations économiques avec nos partenaires européens... En fait, aborder la question de l'horaire du travail administratif devrait rompre avec le modèle administratif monolithique qui veut qu'il y ait une seule solution applicable à tous. Elle devrait prendre en compte les différences de contexte en plus des besoins spécifiques des citoyens et des entreprises économiques. De toutes les façons, les formules d'aménagement des horaires de travail administratif sont nombreuses et multiples et peuvent même être combinées. Pour que la consultation relative aux horaires administratifs actuellement en cours constitue un message fort aux citoyens que nous sommes, annonciateur d'une politique de l'Etat orientée vers le renforcement de son rôle en tant que facilitateur plutôt qu'obstacle freinant la dynamique économique, il faudrait s'atteler sans plus attendre à une réforme administrative générale dont l'aménagement du temps de travail n'est qu'une seule composante parmi plusieurs. Séance unique et sous-productivité Tout d'abord, il y a ceux, dont l'actuel ministre provisoire de la Réforme administrative, qui sont favorables au régime de «la séance unique » sur toute l'année, cinq jours sur sept, pratique aujourd'hui abandonnée dans la plupart de la région de l'Europe du Sud. En effet, la séance unique permet des après-midi entièrement chômées durant toutes les semaines de l'année, ce qui engendrerait un rendement du travail divisé par deux et une léthargie négative généralisée... Cette alternative donnerait en plus l'occasion à certains fonctionnaires d'exercer un deuxième emploi illicite, ce qui entraverait davantage les stratégies nationales d'emploi. Nous Tunisiens devrons comprendre que l'Ere de la «séance unique » en hiver ou en été (dit système dichotomique) est bel et bien révolue. Regardons ce qui se passe en Occident et au Sud-Est asiatique ; les salariés et fonctionnaires, même malades, vont quand même travailler. Une enquête au Centre d'études américain « Compsy » indique que 77% des Américains sont devenus « présentéistes » car ils estiment avoir trop à faire et qu'ils craignent pour leurs emplois. En d'autres mots, les Américains, les Japonais et même les Allemands deviennent des «workoliques» et leurs économies se félicitent de cette assiduité exemplaire et en tirent les meilleurs résultats dans le monde. Double séance avec coûts sociaux et culturels lourds Ensuite, il y a ceux qui s'opposent à la séance unique car, d'après eux, la réduction des heures de travail administratif par ce système n'encourage pas le citoyen à réaliser des projets économiques, ni culturels, ni sociaux, ni associatifs... qui devraient être traités avec le service public. La double séance n'est pas sans générer un coût économique et social lourd. Economiquement, on évoque la réduction des rendements et les retards dans la gestion des affaires économiques par les coûts excessifs de transport occasionnés. Les coûts sociaux sont aussi énormes, lorsque enfants et parents rentrent tard le soir après avoir gaspillé leur temps libre en déplacements. Le déficit de temps réservé à la culture et aux loisirs est ainsi évident. A cela s'ajoutent tous les emplois perdus qui auraient pu être générés par des activités culturelles ou de service si les fonctionnaires et employés disposaient de plus de temps libre. Séance continue, meilleure alternative médiane Enfin, une troisième alternative d'aménagement du temps de travail en cohérence avec les horaires scolaires est celle de « la séance continue ». Celle-ci est concrétisée par une rupture d'une heure pour un repas léger et permettrait de quitter les bureaux d'une façon synchrone avec les écoles. La formule de la séance continue 8h30-16h45 avec une heure libre par jour durant toute l'année écarte la crainte de réduction excessive du temps de travail. La séance continue est une formule en vigueur dans la majorité des pays du monde. Et pour que l'administration fasse preuve de flexibillité, on peut combiner la formule de la « séance continue » avec la flexibilité d'une demi-heure avant ou après 8h30 qu'il faut compenser plus tard. Dans ce cas, on assure une plage fixe pour tous, par exemple de 9h00 à midi le matin et de 13h00 à 16h15 l'après-midi. En conséquence, le citoyen bénéficiera d'une durée effective plus longue 8h00-17h15) ; ce qui pourrait rejaillir positivement sur l'économie, la famille, la vie associative et l'activité culturelle du pays. Evidemment la combinaison de telles formules exige un modèle de gestion plus complexe et plus coûteux et pour cela, l'administration tunisienne dispose heureusement des ressources et du savoir-faire pour s'y engager immédiatement. Un bémol réside toutefois dans l'aménagement d'infrastructures d'accompagnement (buvettes, restaurants, points de vente...), mais cela peut se faire progressivement selon le budget disponible. Time-management En plus de l'aménagement des horaires administratifs, il y a lieu d'optimiser les processus de la gestion du temps disponible (time-management) et des activités dans notre administration. Les gestionnaires (ou dafeurs) de chaque service traitent généralement un nombre tellement grandissant de demandes d'absence ou de retard qu'il est nécessaire d'automatiser, de rationaliser et d'optimiser les processus liés aux saisies de ces pratiques. En fin de compte, la gestion du temps ou « time-management » se traduit par plus d'heures de travail effectives, plus de flexibilité horaire, plus de souplesse et mobilité du travail, plus de formation... C'est pourquoi, les yeux des administrations occidentales sont toujours rivés sur la fiche horaire et sur la qualité du travail effectué, en faisant régulièrement les comparaisons avec la concurrence ; ce qui fait gagner l'investissement, la compétitivité et l'emploi de l'entreprise. Bref, il est impératif non seulement de mieux gérer notre temps collectif, mais aussi d'augmenter son rendement et d'accéder de mieux en mieux aux méthodes et outils technologiques modernes de travail. * (Universitaire et président de l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation ADRI)