Par Hédi BEN ABBES* La sagesse de Zarathoustra nous apprend que «ce qui ne tue pas rend plus fort» : jamais une telle maxime n'a résonné aussi fort que le week-end dernier, lors de l'assemblée nationale du CPR tenue à Tataouine les 12 et 13 mai. En effet, la crise que le CPR a traversée est salutaire à plus d'un titre. Elle a tout d'abord servi de catharsis aux Cpristes venus en nombre (plus de 200) de tous les gouvernorats du pays, conscients de l'enjeu de cette assemblée de tous les risques. Il y a une tradition au sein du CPR, instaurée par son fondateur le Dr Moncef Marzouki, et qui consiste à se dire les choses avec la plus grande franchise et à traiter aussi bien les problèmes que les décisions importantes de manière horizontale et dans la transparence. Ce fut véritablement le cas : des reproches très acerbes furent adressés aux membres du bureau politique pour avoir été très peu actifs depuis les élections du 23 octobre et aux représentants du CPR au sein du gouvernement pour avoir très peu communiqué avec les militants, ainsi qu'aux membres de l'ANC pour avoir manqué de coordination. La plupart des critiques étaient pertinentes et ont nécessité des explications de la part des personnes concernées. Ce fut fait. L'autre aspect salutaire concerne la remise à plat de toutes les questions relatives à la gestion technique et politique des structures du parti comme phase nécessaire préalable à toute entreprise de remédiation. La reconstruction du CPR sur une base plus saine et plus solide est passée aussi par un examen minutieux des origines de la crise, et des dimensions politique, sociale et même psychologique donc personnelle, qui avaient présidé à celle-ci. Ce fut un véritable examen de conscience et un véritable travail de fond dont le seul objectif est d'assurer un nouvel élan au CPR, deuxième parti de Tunisie par le nombre et certainement bien plus que cela par le cœur. Il était aussi question des dissidences et de la personnalisation du conflit qui traduit un manque de maturité politique chez certains, de l'opportunisme chez d'autres, et un sens peu développé de la pratique démocratique. Il est aisé de comprendre que la démocratie est un projet en perpétuel construction. Ce projet passe nécessairement par trois phases au moins dont la première est la construction des institutions (ce que la Tunisie est en train de vivre), pour devenir une culture, et finalement une pratique au quotidien et à tous les niveaux. Ce que la crise du CPR a révélé, c'est le constat suivant. A l'image du pays, nous sommes encore dans la phase de construction des institutions du parti avec tout ce que cela comporte comme soubresauts. Si nous étions jusqu'à présent unis dans un projet d'opposition frontale au régime de Ben Ali, c'est parce qu'avoir un ennemi commun permet à tous les acteurs de laisser leur ego de côté et de se serrer les coudes pour servir un objectif partagé par tous. Le départ de la dictature a plongé les membres du parti, à l'image de tout le pays d'ailleurs, dans un désarroi quasi-existentiel car le parti a découvert tout d'un coup qu'il est formé d'individualités et que chaque individu est sommé de se redéfinir et de savoir quoi mettre dans ce nouveau contenu qui s'appelle «Je». Quelle relation avec l'Autre? Comment gérer les différences de point de vue ? Quel projet commun peut-on avoir ? Quels sont les paramètres de ce projet ? Quel rapport avec la religion ? Comme gérer cet «Autre» qui me renvoie une image de moi-même à l'image de la théorie du «regard» chez Sartre? Quelle corrélation entre liberté et responsabilité ? Bref, une foule de questions auxquelles de nombreux membres du CPR et non des moindres n'ont pas su ou pu répondre. Certains ont gardé l'esprit revendicatif soumis à des schémas désuets formatés selon des archétypes qui, déjà dans les années 60, étaient peu probants et le sont encore moins aujourd'hui. D'autres ont une vision plus pragmatique de la vie politique et tentent d'intégrer des paramètres sans cesse en mutation pour sortir avec une vision plus nuancée en évitant de tomber dans le piège de la polarisation. Les premiers (certains dissidents et non des moindres) pensent qu'ils ont des convictions et qu'il faut les défendre selon cette ligne de démarcation désuète et binaire, les autres plus pragmatiques et progressistes pensent, à l'image de Nietzsche, que «les convictions sont des prisons» qui empêchent de composer avec l'Autre, de créer ce que le Martiniquais Edouard Glissant appelle «la poétique des relations», celle qui fait féconder les idées faisant des frontières les lieux de toutes les interactions fécondes. Deux conceptions du monde et donc de la démocratie diamétralement opposées et irréconciliables sont à l'origine de la scission qu'a connue le CPR. Le week-end dernier, les partisans d'un parti d'inclusion, au-dessus des idéologies, sans pour autant les nier, ont finalement pris le dessus sur ceux qui prônent l'exclusion et le conservatisme idéologique sclérosant. C'est finalement le camp de la pollinisation féconde des pensées, de la diversité et de l'acceptation de l'Autre qui l'a emporté grâce à une idée somme toute très simple. Ce qui nous réunit est plus important que ce qui nous sépare. C'est l'esprit du CPR qui l'a emporté, un esprit fondé sur le rassemblement de toutes les sensibilités autour d'un même projet fédérateur, faisant de nos différences une force génératrice de débats et d'idées, à l'image de notre pays la Tunisie, une société composite où les différences s'entremêlent et se fécondent pour donner lieu à ce «caractère tunisien» riche de toutes les différences, solidaire dans les épreuves, généreux dans l'effort et contestataire quand il le faut. Le week-end dernier, tel un Phoenix, le CPR a retrouvé son envol vers de nouveaux horizons, débarrassé de la mentalité «des professionnels de la contestation», des adeptes du «no», pour se muer finalement en parti de gouvernement, responsable et pragmatique, porteur de projet pour l'avenir, infatigable bâtisseur, à l'image de son fondateur aujourd'hui président de la République tunisienne. Le CPR va vivre une nouvelle jeunesse après avoir opéré une véritable remise en question et resserré ses rangs autour de ce magnifique projet qu'est Une Tunisie pour tous, démocratique, enracinée dans sa culture arabo-musulmane, ouverte sur le monde, riche de toutes les influences et les confluences. * (secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères)