Par Hamma HANACHI Il abrite une collection exceptionnelle de mosaïques, le musée du Bardo fête cette année la Journée internationale des musées en grande pompe. Après des années de travaux, il ouvre une nouvelle aile et montre de nouvelles pièces. Visite. Architecture moderne et fonctionnelle, du verre, du béton, 23.000m2, deux étages avec ascenseurs, lignes droites, espaces clairs, lumineux, un comptoir guichet tout en longueur, murs noirs, une bibliothèque, un hall café et petite restauration et une superbe vue sur les jardins de l'extérieur. Le Triomphe de Neptune, IIIe siècle, était au sol, un pavement que plusieurs d'entre nous ont vu, parcouru et marché dessus. Dressée, la plus grande mosaïque (900x600 cm), découverte dans une salle d'apparat d'une villa romaine à Hadrumetum (Sousse) a gagné en éclat. 56 médaillons, néréïdes, monstres marins, sirènes, fauves, chevaux marins entourent le dieu des mers. Debout sur son char, traîné par un quadrige, il tient le trident de sa main gauche et les rênes de sa main droite; des morceaux de frise à décor floral et des variétés de fruits montrent les 4 saisons. Les travaux de restauration, commencés en 2009, ont été effectués par une jeune équipe tunisienne. Admiré l'autre pièce majeure récemment déménagée, de forme presque carrée (123x 122cm), placée au même étage : Virgile et les Muses. Solennel, le poète officiel de la Rome d'Auguste, est entouré de Clio, muse de l'Histoire et Melpomène, incarnation de la Tragédie, il tient en main l'Eneïde, son œuvre immortelle. Très bel accrochage, structurée sur fond de deux carrés rouges, les vitres derrière donnent sur l'extérieur. Les Tunisiens vont rarement aux musées, trop peu. Tahar Ghalia, conservateur au Bardo : «Nous voulons attirer davantage de public national». Il représente de 5 à 10% des clients, il a raison de s'en plaindre. *—*—*—* Cap sur la colline de Byrsa. Opération d'envergure au musée national de Carthage, la première du genre, Carthage Contemporary, par commodité, l'art moderne, voyageur et cosmopolite utilise la langue anglaise. C'est la première plateforme d'art contemporain qui comprend plusieurs événements culturels, expositions, table ronde, projection de films et une tournée des galeries de la banlieue nord de Tunis. Le point d'orgue se trouve au musée, une exposition d'art contemporain intitulée Chkoun Ahna, Qui sommes-nous ? (12 mai-15 juin). De grosses pointures à découvrir, leurs noms font courir les amateurs et les collectionneurs; ici, ils côtoient des artistes tunisiens dans une scénographie précise, exquise. Une photogravure d'Ahmed Mater, intitulée Magnetism montre la Mecque au centre d'un mouvement giratoire, Hala Elkoussy, présente une œuvre murale, The myths and legend room, sa démarche consiste à fixer des instantanés de la mémoire collective de sa ville natale, le Caire. Kader Attia, une autre gloire franco-algérienne, Ahmet Ögüt, Boris Kajmak, voisinent avec les Tunisiens Ali Tnani qui exploite plusieurs médias, dessins, installation sonore, Nadia Kâabi-Linke, ou Nicène Kossentini qui sonde la mémoire, les souvenirs et interroge l'identité. Une œuvre a particulièrement retenu notre attention ; à notre sens, elle synthétise Chkoun Ahna. Une installation composée de deux volumes ouverts représentant la Constitution marocaine, celle de 1996 et celle de 2011, sur le premier, il est inscrit Fin de jeu, sur le second, gravé «Le nouveau jeu». Un acte, une ellipse par lesquels le langage artistique se pose en critique affirmant son droit à l'expression dans le jeu des transformations politiques, Mustapha Akrim, rompt radicalement avec l'esthétique développée pendant la période postcoloniale. Fatalement, l'observateur, pense à sa Constitution, sept mois, jour pour jour, des commissions, des sous-commissions, des débats qui ne finissent pas. Aucune ligne, le brouillard. *—*—*—* S'il y a une corporation qui devait se plaindre, c'est bien celle des artistes plasticiens. Des années qu'ils réclament un musée d'art moderne, les autorités font la sourde oreille, la commission d'achat continue ses acquisitions, les œuvres croupissent dans un dépôt, il y a de quoi s'indigner. Les artistes, galeristes, collectionneurs... n'ont engagé aucune action en cette journée internationale des musées. L'année prochaine, qui sait ?