«Il est, en particulier, interdit de donner aux façades aucun ornement, de les peindre autrement qu'à la chaux blanche et de modifier le style des portes, des fenêtres, des balcons ainsi que celui des grilles en fer et des treillis en bois dont sont pourvus les fenêtres et les balcons. Il est formellement interdit de transformer les terrasses qui forment les toitures et de modifier la disposition et les alignements actuels des rues, places et impasses», stipule l'article premier du décret de 6 août 1915, qui protège le village de Sidi Bou Saïd. Ce texte a été renforcé par un autre décret, celui de 1985... Ainsi, l'action de sauvegarde de ce village a pris forme très tôt grâce aux initiatives du Baron d'Erlanger et autres personnalités du monde culturel tunisien de l'époque. «Ce dernier n'était certainement pas absent à l'érection de la cité en commune en 1905 et il fut le principal artisan de l'action qui a abouti à ce fameux décret», raconte Béchir El Fani, président de l'association du village de Sidi Bou Saïd, lors d'une réunion qui a eu lieu vendredi dernier, à Ennejma Ezzahra. Pourtant et malgré cet appui juridique exceptionnel, on déclare le village en péril. Le népotisme et l'abus de pouvoir de la famille Ben Ali ont contribué à détruire le site. Il ont ouvert la voie à d'autres «qui ont cru par la suite pouvoir se donner des droits similaires, lors de cette période de transition», précise le président. La ceinture verte a pratiquement disparu et l'entrée du village a perdu son charme. «Elle est devenue méconnaissable, ressemblant à un même ailleurs, proche et lointain (...). Le pire, c'est quand le mal vient de ceux censés le combattre parmi les habitants qui ne résistent pas à la tentation de construire toujours plus haut, toujours plus dense et qui ont pu le faire grâce au silence de ceux qui étaient censés les arrêter dès le premier coup de truelle», se plaint encore El Fani. L'association de la sauvegarde du village a donc réuni adhérents, archéologues, journalistes et sympathisants pour chercher les moyens à même de sauver ce promontoire, qui, par son architecture et son urbanisme, résume les caractéristiques tunisiennes de l'habitat citadin méditerranéen de l'époque que le passé historique andalou maghrébin a imprégné de sa forte marque. Kheireddine Annabi a énuméré et a expliqué la multitude de textes juridiques qui devraient protéger le patrimoine tunisien et en particulier le village historique de Sidi Bou Saïd. Il a relevé trois cents articles promulgués durant environ un siècle. «Le code du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels a vu ensuite le jour, le 24 février 1994, pour “nettoyer” et mettre de l'ordre dans ces textes parfois contradictoires», souligne-t-il. Pour sa part, Denis Lesage a axé son intervention sur les chartes et les législations internationales, ratifiées par la Tunisie : «Sidi Bou Saïd n'est pas classé dans la liste du patrimoine mondial de l'Unesco», précise-t-il. «Le village est seulement rattaché au plan de délimitation du site archéologique de Carthage, classé en 1979». précise-t-il. Du pain sur la planche... Côté législation, la Tunisie paraît bien outillée pour sauvegarder son patrimoine. En revanche, la situation se complique et les difficultés se multiplient quand il s'agit particulièrement d'une ville historique «où la vie continue et les mutations sont inévitables et où, de surcroît, les collectivités locales ont leur mot à dire», soutient Abdelaziz Daoulatli. Pour ce dernier, la sauvegarde de ce patrimoine nécessite des outils plus affinés et mieux adaptés aux divers contextes urbains, socioéconomiques et culturels. Il va jusqu'à suggérer une mise en place d'une politique de partenariat entre le secteur public et le secteur privé. L'archéologue, ancien directeur de l'Institut national du patrimoine propose une union, sous l'égide d'une fédération nationale, des associations de sauvegarde. «Aujourd'hui, on doit en compter au moins une trentaine, réparties sur tout le territoire concernant aussi bien les grandes villes que les petites», fait-il remarquer. L'union, selon lui, renforcera le rôle des associations en leur donnant plus de prérogatives et plus de moyens matériels pour réaliser leurs objectifs. Sans une prise de conscience collective de l'importance historique, tout effort sera voué à l'échec. L'association s'active pour tirer la sonnette d'alarme en photographiant les abus : la prolifération des fils électrique de la Steg, l'installation de fast-foods au cœur du village, la pléthore des panneaux publicitaires. Et puis, il y a la porte monumentale de la Poste, le dépassement du périmètre du café Sidi Chebâane... A cela s'ajoutent la destruction de l'ancienne maison d'André Gide et la fermeture par des murs en béton des trois chemins publics reliant le village au port «Korsi Essolah», «Tariq Dar el Bey» et le chemin Chergui, ainsi que le chemin privé du parc d'Ennejma Ezzahra. Il est à noter que MM. Denis Lesage et Luciano Mullazzani ont entamé une étude qui vise à la réhabilitation et à la réouverture du chemin «Korsi Essolah». Le Djebel Menara, où repose le «maître des mers», Khalaf Ben Yahia Tamimi El Béji, le joyau du Baron d'Erlanger, la source d'inspiration de Chateaubriand, de Gustave Flaubert, d'Alphonse de Lamartine, d'André Gide, de Colette et Simone de Beauvoir, de Michel Foucault et d'autres, retrouva-t-il un jour le charme ensorcelant d'antan? «Il ne faut pas oublier que Sidi Bou Saïd est plus qu'un joli village, perché en haut d'une colline. Il est un lieu spirituel où tout ce qu'il contient a une valeur historique», insiste Kheireddine Annabi. Le sauver est une urgence. Abdelmajid Ennabli est catégorique. La solution, pour lui, réside dans la mise en valeur du site Carthage-Sidi Bou Saïd qui se résume dans l'approbation du Plan de protection et de mise en valeur (PPMV) pour les zones non aedificandi —c'est-à-dire non constructibles— et le Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) pour le village historique de Sidi Bou Saïd.