Derrière l'appellation Ammar 404, se cache l'appareil de censure de la Toile, installé par Ben Ali, depuis l'arrivée d'Internet sur les ordinateurs tunisiens. Pour le jeune réalisateur Nasreddine Ben Maâti, Ammar est bien plus que ça. Il incarne tous les systèmes qui entravent la liberté dans notre société. " Cela a fait que les jeunes se soient dirigés vers le virtuel pour se créer une identité de substitution ", explique-t-il. Justement, c'est à une catégorie particulière parmi ces jeunes, les cyber-dissidents, ou cyber-activistes, que l'on doit cette appellation de Ammar 404. Et c'est de là qu'est partie l'idée de son documentaire, actuellement en phase de montage, " Aouled Ammar " (ou génération maudite). A 21 ans, Nasreddine Ben Maâti est passé par des études en journalisme et en cinéma et par l'école de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (FTCA). Comme tous les jeunes de son âge, il est un grand consommateur de Facebook, où il a découvert les cyber-activistes sans connaître leurs vraies identités. " Facebook a commencé à devenir politisé suite à Nhar âla Ammar en 2010, la campagne contre la censure d'internet ", déclare Nasreddine. Et d'ajouter : " Les cyber-dissidents sont des jeunes de ma génération. Leur combat m'interpelait. Pour les autres, la révolte a commencé dans les stades ". Le jeune réalisateur a à son actif deux courts-métrages, dont Le virage (2010) qui a participé au "Short film corner" de Cannes 2011. Il n'a pas voulu filmer les événements pré et post-14 janvier et a préféré les vivre en tant que citoyen, " surtout pour comprendre la situation et pour que cela soit clair dans ma tête", clarifie-t-il. Ce qu'il a compris plus tard, ce sont les axes de son documentaire " Génération maudite ". Ils ont commencé à prendre forme après sa participation, en mars 2011, à l'atelier organisé par Sud Ecriture, où les formateurs l'ont aidé à creuser, à faire évoluer son idée et à lui donner une forme cinématographique. Nasreddine Ben Maâti affirme qu'il lui tient à cœur d'obtenir une œuvre de cinéma avant tout. L'écriture et le montage sont donc des étapes délicates auxquelles il faut accorder le plus grand soin. Après le développement à l'atelier et celui personnel, son projet est sélectionné pour être produit par Nomadis Images, puis par Propaganda Production qui prend le train en marche. Ses producteurs ont investi en lui et n'ont pas lésiné sur les moyens. " De plus, ils ne m'ont rien imposé, ni dans le contenu du film ni dans les délais ", atteste le jeune réalisateur. " Génération maudite " retrace l'historique de la cyber-dissidence en Tunisie et son rôle dans la révolution. Il passe par 2005, année du décès de Zouhair Yahiaoui, par les événements du bassin minier de 2008, par Nhar âla Ammar en 2010, jusqu'aux quelques mois qui ont suivi le 14 janvier 2011. Comme toile de fond, il y a la scène artistique underground qui va rythmer le film mais aussi servir la position que rien n'a changé après le 14 janvier. " Le propos est un peu pessimiste, parce que je trouve que Ammar est resté après le 14 janvier, en nous et dans la censure des artistes et de la liberté d'expression ", confie Nasreddine. Un autre thème important dans le film est le conflit de générations. Lui, qui a souvent entendu dire, avant le 14 janvier 2011, que les jeunes sont des bons à rien et des incapables, a été surpris par l'euphorie et la célébration de ces mêmes jeunes comme des héros. " Le discours a changé mais très vite, les " vieux " ont commencé à parler en notre nom, à décider à notre place et ils ont repris leurs paroles d'avant ", dit Nasreddine. " Pendant ce temps là, ajoute-t-il, les jeunes et les cyber-dissidents parmi eux, se sont éparpillés, alors qu'ils étaient unis contre les mêmes "ennemis". Certains ont surfé sur la vague de la révolution et ils ont pris des directions très différentes. Au final, le paysage est ressemblant à celui des anciennes générations ", ajoute-t-il. Le but n'est donc pas de montrer ces jeunes sous leur plus beau visage, mais de montrer le bien et le moins bien, dans tout ce qui gravite autour de la cyber-dissidence en Tunisie. Nasreddine Ben Maâti pense que les réseaux sociaux ne pourront plus jouer le rôle d'avant avec tout le brouhaha qu'ils contiennent, et les pages gérées avec de l'argent politique sur Facebook, et c'est pour cela que les cyber-activistes doivent continuer à militer et à garder un œil vigilant sur tout ce qui se passe. Tout cela devrait donner un documentaire d'une heure trente, à partir de 100 heures de rushes, qui est aux dernières étapes de montage. Une fois achevé, " Génération maudite " sera projeté pour les journalistes avant de viser les festivals internationaux et de revenir pour une sortie nationale. En attendant de le voir sur un grand écran, ce film, comme beaucoup d'autres, a pu obtenir la subvention de la francophonie mais pas celle du ministère de la Culture...