" Ceci est notre arme ", pouvait-on lire sur une pancarte d'un jeune brandissant son ordinateur portable lors de l'ultime manifestation contre Ben Ali, sur l'avenue Habib-Bourguiba le 14 janvier dernier. Mi-décembre 2010. La révolte de la jeunesse tunisienne s'ébruite sur les réseaux sociaux. Les cybercafés sont bondés, sur tous les écrans une page est à l'honneur : Facebook. Durant ce mois de contestation, le nombre d'utilisateurs tunisiens de Facebook explose : ils sont près de deux millions à suivre et à commenter l'actualité des évènements à travers le réseau social. Mais les censeurs de l'ex-ministère de la Communication travaillent jour et nuit pour réduire au silence les cybermilitants. Ammar : la " cyberpolice " Alors que dans la rue, une révolution historique est en marche, les médias nationaux semblent imposer un silence radio. S'entame alors un véritable bras de fer entre les censeurs de l'ancien ministère de l'Intérieur surnommé «Ammar» et les jeunes internautes. La jeunesse tunisienne cherche à faire savoir qu'elle n'est plus dupe. Elle a compris qu'elle devait se battre pour sa liberté d'expression et que les réseaux sociaux seraient sa principale arme pour mener à bien sa révolution. Les Tunisiens s'échangent les proxys, des serveurs informatiques qui permettent de surfer anonymement sur le web et de déjouer ainsi les censeurs. Ammar, de son côté, a la mainmise sur tous les échanges d'informations du pays. Les censeurs sont obligés de contourner l'impossible censure de Facebook. On se souvient, en effet, de la polémique, lorsque deux ans plus tôt, l'ex-gouvernement avait tenté de censurer le réseau social. Depuis ce brutal mouvement de contestation, il n'osa plus verrouiller l'accès au site si cher aux internautes. Mais d'autres moyens ont été employés pour préserver la mainmise sur Facebook. Les censeurs, appuyés par l'Agence tunisienne d'Internet, une officine relevant de l'ex-ministère de la Communication, pirataient les comptes des militants un à un. Ils inséraient un code malveillant dans la page de connexion du site afin de récupérer les identifiants et mots de passe des Tunisiens qui tentaient d'accéder à leur compte. Début janvier, alors que la situation devenait incontrôlable pour le pouvoir en place, les censeurs s'en sont pris aux blogueurs. Parmi les arrestations, celle de Slim Amamou, l'un des plus actifs cybermilitants sur la Toile, et l'un des principaux initiateurs du mouvement de manifestations contre la censure sur internet baptisé " Nhar âla Ammar " (journée d'enfer pour Ammar). De plus en plus désespérés, les hommes de Ammar tentent une nouvelle méthode pour neutraliser la mobilisation sur le Net : l'infiltration au sein même des réseaux sociaux sous de fausses identités pour semer le trouble en créant de faux évènements (manifestations ou autres) ou tout simplement en répandant des messages de propagande et de lavage de cerveau. Mais la jeunesse tunisienne ne semblait pas avoir dit son dernier mot. Le flux d'informations continuait de déferler sur la Toile et se démultipliait sans que les hommes de Ammar ne parviennent à le contenir. Statut, photo de profil à l'effigie du drapeau tunisien, amateurs devenus journalistes le temps d'une révolution, le peuple s'était donné un seul mot d'ordre : la solidarité face au prédateur Ammar. L'intervention des Anonymous #Op:Tunisia : qui sont-ils ? Les Anonymous sont un groupe de hackers formés de manière informelle. Ils véhiculent un véritable mystère autour de leur identité en cachant leurs visages derrière des masques en guise de clin d'œil au film " V for Vendetta" lors des apparitions publiques. Ils reflètent l'image de guerriers d'un monde libre et entament de véritables croisades contre les atteintes à la liberté d'expression. Ils deviennent célèbres pour leurs attaques contre l'église de la scientologie ou encore pour avoir défendu Julien Assange après les publications de WikiLeaks. Leur devise étant "We do not forgive, we do not forget" (Nous ne pardonnons pas, nous n'oublions pas). Le 2 janvier, ils lancent l'opération ‘‘Tunisia'' et se rallient au peuple tunisien et à la lutte contre Ammar. A travers un communiqué de presse, les Anonymous imposent clairement leur point de vue." Ceci est un avertissement pour le gouvernement tunisien : les attaques à l'encontre de la liberté d'expression et d'information faites envers ses citoyens ne seront plus tolérées". Les cyberattaques du groupe de hackers visent les sites gouvernementaux et sèment un vent de panique du côté des censeurs. Huit sites gouvernementaux ou proches de la présidence ont été mis hors service par saturation de leurs serveurs. Les Tunisiens ne sont plus seuls dans la bataille. L'organisme Anonymous est venu apporter son soutien ainsi qu'une vague d'espoir à un peuple qui ne craignait désormais plus de manifester haut et fort son opinion. Anonymous a par ailleurs aidé les internautes tunisiens à se protéger des agents de la censure en diffusant via Twitter ou Facebook des astuces pour garantir l'anonymat des messages, le partage de fichiers ou leur protection. La " Twitter révolution "? Facebook n'a pas été le seul véhicule d'un militantisme ardent sur la Toile. Twitter, l'autre star des réseaux sociaux, a aussi accompagné à sa manière les évènements. Contrairement à Facebook qui semblait être le point de ralliement des cyberactivistes sous couvre-feu, Twitter a permis la diffusion d'informations en temps réel. Durant la periode de contestation, les hashtag #sidibouzid #Zaba ou encore #jasminrevolt — un mot précédé d'un dieze qui permet de catégoriser les informations selon un évènement précis — sont apparus quotidiennement en première position des " trending topics " du réseau social. Les manifestants ou journalistes sur le terrain " tweet " suivaient les faits quasi instantanément, transmettant ainsi une information de source sûre à la minute près. En outre, en direct des manifestations on pouvait lire sur twitter : " les manifestants se tiennent par la main en Erreur! Référence de lien hypertexte non valide, en chantant l'hymne national, mais la police ne veut pas les laisser avancer Erreur ! Référence de lien hypertexte non valide. En un seul clic l'information était " reTweeté " (c'est -à-dire re-publiée en termes exacts) et pouvait être lue par les utilisateurs de Twitter à travers le monde. Il va sans dire que les réseaux sociaux ont fortement contribué à ébruiter et surtout à coordonner le mouvement de révolte dans un pays où l'information était verrouillée. Ils ont favorisé la rapide circulation de l'information et ont permis l'expression d'un immuable sentiment de solidarité du peuple tunisien qui a su mettre à mal tout un système de communication incontestablement basé sur une censure et un contrôle étroit de l'information. Ironie du sort ? Le blogueur Slim Amamou vient d'être nommé secrétaire d'Etat à la Jeunesse au sein du gouvernement provisoire après avoir été arrêté pour son activisme sur la Toile. La jeunesse tunisienne tient là une belle revanche, et on peut sans aucun doute affirmer qu'elle a battu Ammar par K.-O…