Après son livre explosif sur Freud, le philosophe Michel Onray consacre en ce début de l'année 2012, un livre de 600 pages à Albert Camus (1913 - 1960). Son but principal est de réhabiliter l'auteur de L'homme révolté, de L'étranger et des Noces, de faire face à ses détracteurs, anciens et nouveaux, et permettre à son image ainsi qu‘à son œuvre de rayonner de nouveau, après avoir été ternie par certains de ses ennemis, surtout Jean Paul Sartre . Michel Onfray retrace étape par étape la vie tumultueuse de cet enfant terrible des lettres françaises au XXe siècle qu'est Albert Camus. L'enfance, marquée par la misère et la tuberculose, est la première des ces étapes. Le père, ouvrier agricole, est tué dans les premières batailles de la première guerre mondiale, laissant son enfant âgé de trois mois seulement. La mère, femme de ménage toujours silencieuse et taciturne, allait souffrir pour subvenir aux besoins de sa famille. D'elle et à travers elle, le jeune Camus allait comprendre le sens profond de la misère humaine et la souffrance des désespérés et des damnés de la terre. La grand-mère était féroce et méchante avec le jeune enfant. Elle le punissait pour la moindre faute. Dans le quartier Bab Al Oued à Alger où il est né, les voix arabes se mélangeaient à des voix italiennes et espagnoles et «ça sent la cannelle, le safran, l'eau de javel et le poivron caramélisé». Dadi Houari, un Algérien admirateur de Camus, raconte que la mère et la grand-mère de Camus allaient au marché après 10 heures et demie du matin, quand les commerçants commençaient à remballer et juste avant que les services municipaux n'aspergent au grésil les étals de sardines pour les rendre impropres à la consommation. Malgré la misère et la tuberculose qu'il a contractée à l'âge de 17 ans, le jeune Camus était amoureux fou de la vie. Il adorait jouer au football avec les jeunes de son quartier. Il a même été le gardien de but de l'équipe de Belcourt. Au printemps et en été, il aimait partir à la belle et majestueuse Tipasa pour se promener ou se baigner. Pus tard, il écrira son fameux livre Les noces où il chantera les merveilles de Tipasa, là où «Les dieux qui parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes cuirassées d'argent». Sur Noces , Michel Onfray écrit : «Ce livre est un grand texte panthéiste au rebours de phénoménologie qui se complique avec des néologismes. Il fait de la métaphysique sans en avoir l'air, avec des mots simples». Devenu écrivain très célèbre, Camus n'oubliera jamais ses origines. Il écrira qu'«il avait toujours travaillé pour «arracher» sa famille pauvre au destin de l'Histoire, qui est de disparaître sans laisser de traces». Michel Onfray revient aussi à la relation très intime du jeune Camus avec Jean Grenier, son professeur de philosophie et qui était le premier à avoir découvert son grand talent. Sous son influence, Camus avait lu les grands textes philosophiques, surtout les Essais de Montaigne, les Pensées de Pascal, Le gai savoir de Nietzsche et ne tardera pas à découvrir que des livres pareils peuvent changer la vie d'un homme. Plus tard, Camus écrira dans son roman Le premier homme qui ne sera publié que 30 ans après sa mort : «Essayer de vivre enfin ce que l'on pense en même temps que l'on tâche à penser correctement sa vie et son temps». Les querelles philosophiques et politiques entre Camus et Sartre occupent une large place dans le livre de Michel Onfray qui prend parti pour le premier, attaquant le deuxième sur tous les fronts. Pour lui, rien ne reste de Sartre, sauf Les mots. Le reste est sans valeur, même ses combats politiques étaient inutiles. Onfray trouve que sa compagne, Simone de Beauvoir, qui avait passé une bonne partie de sa vie à le glorifier et à lui construire une légende, le surclasse et le surplombe . Sur les rapports de Camus avec l'Algérie, Michel Onfray écrit : «Si l'Algérie lui doit beaucoup, Camus doit beaucoup aussi à l'Algérie. C'est sur cette terre et au milieu de son peuple qu'il a construit son antisystème : celui d'un philosophe qui ne veut parler que de ce qu'il a vécu et entend manger la pomme d'Eve jusqu'au trognon. Il n'a pas de mal ni de honte à être heureux...». Pour Michel Onfray, Camus n'est pas de cette catégorie de philosophes qui réduisent la vie à des concepts, en se livrant à de pures opérations de l'esprit, mais comme Socrate et Epicure, il permet «la sculpture de soi pour quiconque souhaite donner un sens à sa vie».