Par Lilia Ben KhElifa Ben Salem En matière d'innovation, on peut dire que le parti à tendance islamique nous étonne un peu plus chaque jour. Après l'introduction de la langue turque dans l'enseignement secondaire, les propositions avancées ces derniers jours ont franchement de quoi laisser perplexe. Le 23 octobre 2011, nous avons voté pour l'élection d'une Assemblée nationale constituante chargée – comme son nom l'indique - de rédiger la Constitution. Aujourd'hui, la volonté du parti au pouvoir est de prendre les résultats de cette élection et d'en appliquer le prorata pour la formation des conseils municipaux. Essayons de comprendre : 37% du total des votants ont choisi Ennahdha pour l'ANC, nous aurons donc 37% de conseillers municipaux issus de cette tendance dans chaque municipalité ! Sachant que les petits partis et les listes indépendantes ne sont pas représentés à l'ANC et qu'une assemblée constituante n'a aucun rapport avec un conseil municipal, il n'y a qu'une chose à dire : vive la démocratie en Tunisie ! Il faut savoir que l'organisation provisoire des pouvoirs publics dans son article 71 prévoit de proroger le mandat des conseillers municipaux jusqu'à la proclamation de la nouvelle Constitution. La dissolution des conseils municipaux n'est donc absolument pas une obligation, sauf en cas de démission ou de carence, ce qui n'est le cas dans pratiquement aucune municipalité. Autre proposition qui, à première vue, semble des plus pertinentes : créer 25.000 postes de fonctionnaires afin de résorber une partie du chômage. Oui, mais le parti au pouvoir prévoit que la moitié de ces postes devra être attribuée « aux personnes ayant été discriminées sous l'ancien régime » (comprenez les partisans d'Ennahdha). Aberrant, me diriez-vous ? Mais il y a mieux encore : les personnes éligibles à ces postes qui auront dépassé les 60 ans verront le poste attribué à...leur descendant !!! Non, non, vous ne rêvez pas, nous sommes en pleine réalité tunisienne post-révolution. A ce train, vous imaginez bien que toutes les personnes intéressées par la Fonction publique vont se précipiter pour obtenir leur carte du parti, et inutile de posséder une intelligence hors du commun pour voir l'amorce de la campagne électorale bien avant son démarrage officiel, et aux frais de l'Etat s'il vous plaît. Plusieurs partis politiques dits d'opposition dénoncent toutes les manœuvres malhonnêtes et anti-démocratiques du parti au pouvoir. Le problème est qu'un parti politique a toujours une arrière-pensée électoraliste, ce qui est probablement le cas. Reste la société civile, mais la société civile risque de s'essouffler, et on est en droit de se demander si elle pourra tenir encore longtemps, après sa mobilisation sans failles toutes les fois où les libertés ont été menacées... Dans un autre registre, la « mauvaise foi » (sans faire de mauvais jeu de mot) continue avec un président par intérim qui avait demandé six mois de trêve avant d'être jugé et qui avait promis de démissionner en cas d'échec. Six mois ? Vous rigolez ? Qui peut juger de l'action d'un quelconque gouvernement au bout de six mois ? Je vous avais prévenu qu'il me fallait cinq ans, vous avez voulu que cette période se limite à une année ? En voilà les conséquences... Et puis d'abord quelles conséquences ? Aujourd'hui, il nous affirme que tout va bien et que les médias exagèrent dans la description et l'évaluation de la situation économique et sociale du pays. A part ses compétences en neurologie, cet homme doit également être doté d'une vision d'extralucide, car il a même évoqué des « queues d'investisseurs » que lui seul semble avoir remarquées... Ceci dit, aujourd'hui qu'il est lâché par son plus grand pourvoyeur de fonds (qui lui reproche son laxisme face aux abus de ses alliés politiques et qui, aujourd'hui, soutient son dissident), on se demande comment il compte financer sa prochaine campagne électorale. Et puis, pour nous démontrer que la justice transitionnelle est active et que le gouvernement travaille « nuit et jour », on jette de la poudre aux yeux d'un peuple dont la vue est déjà plus qu'embrouillée : des arrestations de-ci de-là, sous les prétextes les plus recherchés. J'ai retenu un des plus étonnants : « non dénonciation d'emplois fictifs » au sein d'une entreprise publique de plus de 7000 employés. Pendant ce temps, des personnes de toutes sortes vont et viennent en totale impunité, ici ou à l'étranger. Des ex-importateurs de containers de bananes à Sfax, aux exilés au Qatar (avec qui nous entretenons les meilleures relations du monde, alors que nous dénonçons le laxisme suisse !), allez savoir quels critères sont retenus pour décider si vous avez été complice ou non des abus de l'ancien régime. Sans oublier les nouveaux venus sur la scène politico-médiatique: les salafistes. Mais ça, c'est encore un autre sujet...