Par Soufiane Ben FARHAT Il faut se fier aux évidences. Le marché de la violence s'est dérégulé chez nous à la faveur de la Révolution. Jusque-là, seul l'Etat détenait le monopole de la violence légitime. Exceptionnelle et conjoncturelle de surcroît. Mais, depuis peu, la donne a changé. Des groupes et individus d'horizons divers s'adonnent à la violence. En toute impunité. Ils s'en prennent aux biens et aux personnes, au vu et au su de tout le monde. Ce qui fait que dans notre pays, réputé pour sa douceur de vivre légendaire, les gens ont désormais peur. Peur pour leur personne, pour leurs enfants, leurs biens, pour leur pays. Les sorties sont calculées, réduites à l'utilitaire. Les promenades en famille deviennent de plus en plus rares. La saison estivale s'annonce sous un jour triste, crispé, chargé de préventions et de frayeurs. Les violences sont multiformes. Leurs pourvoyeurs sont pourtant identifiés. Et identifiables. Ils vont du fanatique accaparant les mosquées (près d'un millier de mosquées confisquées) et quadrillant des quartiers populaires aux trafiquants d'armes, drogue et boissons alcoolisées. Les interconnexions des uns et des autres sont évidentes. Ils agissent en réseaux se servant mutuellement. Les frontières sud du pays sont encore poreuses. Des quantités d'armes provenant de Libye et d'Afrique subsaharienne transitent par là. Ces armes sont utilisées par des groupuscules terroristes ou des gangs aux fins crapuleuses. Les dernières flambées de violence dans le Grand-Tunis et à Sousse notamment en sont témoin. On a frôlé le pire. Des groupes ont brûlé, à visage découvert, des édifices publics, partisans et syndicaux. D'autres ont tenu des discours all'aperto demandant la tête d'un tel et de tel autre. Les appels au meurtre sont banalisés. Toujours en toute impunité. Même Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha, s'est embarqué dans des appels à manifester massivement vendredi au nom de la religion. Avec tous les risques et périls que cela comporte. Des ministres –tel celui des Affaires religieuses — ont attisé publiquement les réactions épidermiques et intempestives des foules. Et cela en dit long sur la contagion de l'irresponsabilité et de la culture d'impunité qui n'épargne guère les élites politiques. Il faut dire que jusqu'ici, les pouvoirs publics ont fait montre de laxisme. Les fauteurs de troubles, les chefs de gangs, les accapareurs de mosquées, les salafistes en mal de talibanisation du pays sont connus. Certains d'entre eux ont été arrêtés puis étrangement relâchés. Plusieurs fois. Aujourd'hui, il y a des leçons à tirer. Et des mesures énergiques à prendre au plus pressé. Le spectre de l'anarchie violente et généralisée guette. Combien de pays jadis symboles de la coexistence pacifique et harmonieuse n'ont-ils pas sombré dans les violences aveugles et la folie meurtrière : l'Espagne, le Liban, l'ex-Yougoslavie, la Libye... Et lorsque le religieux fondamentaliste, extrémiste et intégriste s'invite en politique, les dégâts sont immenses. L'Algérie en a connu les affres près d'une décennie durant. L'Afghanistan, le Pakistan, l'Irak et la Syrie en ont bu jusqu'à la lie la coupe d'amertume. Dans chacun de ces pays, les victimes se chiffrent par centaines de milliers. Au nom de Dieu ! Les hauts responsables du ministère de l'Intérieur assurent qu'ils peuvent faire le ménage en deux temps et trois mouvements. Encore faut-il que la volonté politique gouvernementale le veuille bien. Or, jusqu'ici, le gouvernement tergiverse en la matière. Il souffle le froid plutôt que le chaud. On gère conjoncturellement, croyant bien faire et ménageant la chèvre et le chou. Mais, chaque fois, les violences reviennent dans des contours encore plus tragiques. Et il y a risque d'atteindre un jour le point de non-retour. Le gouvernement doit agir. La paix civile doit sévir. Les considérations électoralistes, idéologiques ou partisanes en la matière doivent être exclues. Impérativement. C'est la seule voie de salut.