Par Soufiane BEN FARHAT A quelque chose malheur est bon. Le pic des tensions et des violences atteint la semaine dernière a frôlé le seuil de l'irréversible. Et il semble que certains ministres en aient tiré quelque conclusion. Je dis bien certains ministres. Parce que, jusque là, le gouvernement fait la sourde oreille à ses responsabilités dans l'embrasement généralisé qui a eu lieu suite à l'affaire Abdellia. Des ministres avaient jeté de l'huile sur le feu, les trois présidences avaient publié un communiqué hâtif basé sur de fausses informations ; il y a eu violences, voies de fait, blessures et mort d'homme. Le couvre-feu a été installé. L'image de marque de la Tunisie en a bavé et en bave encore. Des touristes se sont ravisés sur les vacances dans nos murs. Des Tunisiens traînent leur peur, que dis-je la frayeur. Et le gouvernement tourne toujours le dos à l'examen critique de sa posture. Que fait-il entre-temps ? Les trois présidences s'empressent d'inaugurer des acquisitions datant de l'ère révolue. Et des ministres posent en faisant la prière dans un bateau qui sert de l'alcool. Mais les ministres dont les propos publics et à une heure de grande écoute ont envenimé la situation ne démissionnent guère. Même pas une autocritique ou une remise en cause. Ainsi, on s'enfonce davantage dans le cercle vicieux de l'impunité et de l'art de noyer le poisson. On se souvient des événements tragiques du 9 avril 2012. Une commission d'enquête avait été mise sur pied. Elle en est toujours à faire du surplace dans le différend sur sa composition. Rien que ça. Aujourd'hui, certains ministres semblent avoir pris le pouls de la situation. Avant-hier, sur Shems fm, M. Samir Dilou a parlé de l'Ugtt, de son rôle capital et incontournable en tant que partenaire social et de la légitimité de son positionnement politique en tant qu'enceinte de défense des libertés politiques. Ces mêmes propos tenus il y a quelques mois nous avaient valu les foudres de certains membres musclés du gouvernement. C'est lorsqu'on frôle le fond qu'on rebondit de plus belle. Et la Tunisie a besoin d'un repositionnement de ses protagonistes politiques. Un repositionnement non point tactique mais stratégique. A cet égard, les composantes de la Troïka gouvernementale doivent reconsidérer leur posture. Il n'est un secret pour personne que cette Troïka est désormais comme un bateau qui prend l'eau de toutes parts. L'alliance est battue en brèche par les dissensions internes. La logique de la féodalité politique prime sur le reste. En même temps, les deux partis alliés d'Ennahdha (CPR et Ettakatol) sont affaiblis par les scissions. Le nombre de ceux qui se retrouvent en dehors de ces partis l'emporte sur le nombre des adhérents encore actifs. Visiblement, la Troïka a découvert très tôt les affres de l'usure du pouvoir. En un temps record pour ainsi dire. Parce qu'au lieu d'épouser la livrée du haut commis de l'Etat, les hauts responsables ont fait plutôt montre d'un esprit de revanche primaire et archaïque. Cette posture passionnelle, alliée à la non maîtrise des rouages du pouvoir a engendré très vite la mauvaise gouvernance. Dans un pouvoir fraîchement issu d'une révolution ! Comment peut-il en être autrement lorsqu'on sait que pour nombre de membres du gouvernement Facebook est une source d'informations ? N'ont-ils pas réagi en vertu de fausses informations colportées sur le réseau social dans l'affaire de la Abdellia ? En même temps, les milices facebookiennes partisanes du régime instituent une véritable colonne fascisante. Avec, parfois, l'assentiment de certains hauts responsables politiques de la Troïka. Démontrer cela est on ne peut plus aisé. Nombre de personnalités politiques, d'artistes, d'intellectuels et de journalistes en font les frais. A quelque chose malheur est bon, certes. Mais le pouvoir gagnerait à endosser les habits de la règle de droit et de la bonne gouvernance et briser le cercle vicieux de l'impunité. Sinon, sinon, ça ne pourra qu'aller de mal en pis.