Par Soufiane Ben Farhat La Presse— Quiconque a des yeux pour voir peut le constater : dans la Tunisie postrévolutionnaire, deux pôles occupent la place politique. D'un côté, le pôle conservateur, de l'autre le pôle progressiste. Et cela est d'autant plus évident que la Troïka au pouvoir à l'issue des élections du 21 octobre 2011 est, d'une certaine manière, une alliance de partis traduisant une combinaison entre les deux pôles. La dualité fondamentale de l'échiquier politique tunisien est une réalité tangible. On pouvait le constater rien qu'à arpenter l'avenue Habib-Bourguiba dans l'hypercentre de Tunis le 14 janvier 2012. Le premier anniversaire du triomphe de la Révolution tunisienne a été célébré spontanément par la population. Et spontanément aussi, les chapelles fondamentales de la scène politique nationale ont marqué leur présence. En plus des syndicalistes et des associations, principaux acteurs de la société civile, les mouvances partisanes étaient au rendez-vous. Rassemblements distincts, chants et hymnes, banderoles, speechs et cercles de discussion distinguaient les factions les unes des autres. Par moments, on a craint le pire, les rassemblements respectifs des plus radicaux des deux bords s'étant frôlés. Mais ce ne fut que passager, les deux ligues s'étant, dans la pire des postures, regardés en chiens de faïence. Somme toute, la fête a été totale et sans anicroches. Exemplaire aussi. Dans la mesure où elle a donné le la de ce qui devrait être partout et dans tous les cas de figure. Que la scène politique soit composée de forces conservatrices, de forces progressistes et d'un agrégat centriste, cela témoigne de la vitalité du tissu politique national. Les choses n'avancent que dans la contradiction. Et les réussites prennent leur pleine signification dans l'émulation, voire la saine adversité. A vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Aujourd'hui, la Troïka (Ennahdha, le CPR et Ettakatol) découvre les rouages et les mécanismes du pouvoir. Pour des partis vivant depuis des décennies dans l'opposition, la nouveauté a de quoi surprendre parfois. Se retrouver tout à coup en face d'une opposition, composée pour la plupart des alliés de la veille, a de quoi déconcerter. Le pouvoir, tout pouvoir, a sa propre alchimie. Ses servitudes, heurs et malheurs aussi. D'un autre côté, se retrouver en face d'un pouvoir composé de mouvances brandissant encore les mêmes slogans et credo que vous a de quoi estomaquer. Ici et ailleurs, la révolution est passée par là. Et l'essentiel, tout compte fait, n'est guère dans le positionnement des uns ou des autres. Il est dans l'édifice commun que bâtissent, parfois dans l'altercation, l'alliance gouvernementale et l'opposition. Le propre des révolutions, c'est de chambouler l'ordre établi. Chose faite sous nos cieux à bien des égards, malgré quelques incuries ou séquelles dans maints secteurs. La tendance fondamentale des régimes postrévolutionnaires, du moins dans une première phase, c'est de récuser viscéralement le despotisme. Ce que l'on peut observer également chez nous. Mais cela n'exclut guère, en cas de faillite des forces démocratiques, à retomber d'une manière ou d'une autre sous le joug de la tyrannie. Le despotisme de la liberté, cela existe aussi. Selon un adage anglo-saxon, la liberté du plus fort opprime et la loi protège. Et précisément, en Tunisie ici et maintenant, toutes les forces politiques, pouvoir et opposition compris, sont attelées à la noble tâche d'élaboration de la Loi fondamentale. Le but de toute la phase transitoire n'est rien d'autre que la conception de la nouvelle Constitution. L'organisation provisoire des pouvoirs publics s'inscrit de plain-pied dans cette optique. Le président Bourguiba avait dit, en 1957, qu'il s'agissait de faire en sorte que la République soit un bien indivis entre tous les Tunisiens. Aujourd'hui aussi, la nouvelle Constitution devra être un bien indivis entre tous les Tunisiens. Par-delà les chapelles, l'esprit de clocher, la droite, la gauche, les progressistes et les conservateurs. Dans tous les cas de figure, le choix n'est guère entre la droite ou la gauche, mais bel et bien entre le centre et les extrêmes.