Par Soufiane Ben Farhat Disons-le d'emblée : être au pouvoir ne signifie guère avoir le beau rôle. La Troïka s'en rend compte, amèrement et à ses dépens. Le pouvoir a une étrange alchimie. Il obsède littéralement ceux qui n'y sont pas. Certains d'entre eux consacrent le plus clair de leur vie à vouloir conquérir le pouvoir. Une fois arrivés, ils y échouent lamentablement. L'ex-président sénégalais Abdoulaye Wade en sait quelque chose. Il s'était présenté vainement aux élections présidentielles de 1978, 1983, 1988 et 1993. Il réussit cependant, en 2000, à devenir Président, jusqu'en 2012. Cependant, au bout du compte, il a été décrit comme mégalomane, autoritaire et machiavélique. Il a été accusé de corruption. En 2000, il s'était empressé de dissoudre le Conseil économique et social et le Sénat, en guise de bonne gestion des deniers publics. En 2007, il les réinvente, en prenant le luxe de nommer lui-même les 65 sénateurs. Il amende la Constitution plusieurs fois, à sa guise. En douze ans, il avait nommé six Premiers ministres, quatre présidents de l'Assemblée nationale, trois chefs d'état-major généraux des armées. Il a promu plus de généraux en moins de sept ans qu'Abdou Diouf et Senghor en près de cinquante ans. Sa fin de règne a été anticipée par le tragi-comique de la création du monument de la Renaissance africaine, inauguré en avril 2010, critiqué pour son coût pharaonique et son financement douteux et occulte. Bref, c'est une véritable tragédie. Le syndrome du fameux roman de Gabriel Garcia Marquez, l'Automne du patriarche, satire de tous les régimes dictatoriaux. Chez nous, on n'en est pas encore là. Mais la pente vicieuse qui se profile dans notre horizon politique n'en effraie pas moins. Le pouvoir est, à bien des égards, paradoxal. Son exercice solitaire ou controversé n'exempte guère de quelque arbitraire ou corruption. Pour la Troïka aux commandes de l'Etat, c'est un véritable cauchemar. Tant ceux qui occupent les fauteuils ministériels ou les dignités quelles qu'elles soient, que leurs inconditionnels partisans n'en reviennent pas. Après avoir épuisé des vies entières dans l'opposition au régime, ils se voient taxés de dérive autoritaire ou de velléités dictatoriales. N'empêche que le paradoxe caractérise également ceux qui s'opposent à la Troïka. Depuis quelque temps, on a assisté à des regroupements de partis de l'opposition, dans le sillage de leur cinglante défaite lors des élections pour l'Assemblée constituante. Çà et là, des initiatives ont vu le jour. Avec leurs lots de promesses et de projets porteurs. Des observateurs ont suivi avec attention. Et cela a été d'autant plus remarquable qu'il a coïncidé avec les premiers couacs dans l'exercice gouvernemental. Or, qu'en est-il au bout du compte ? Cela ne dépasse guère l'effet d'annonce. Comme si l'opposition n'était qu'un tigre en papier. Particulièrement criard en prime. Ne nous y trompons pas. La scène politique tunisienne est particulièrement éprouvée. Elle affiche sa pauvreté en hommes charismatiques, en projets de société réels, en structures organisationnelles bien ancrées et solides. A quelques rares exceptions près, c'est le désert politique. Il en résulte un appauvrissement des débats et des échanges, se réduisant bien souvent à une logomachie oiseuse. Dès lors, la dynamique des fusions des partis de l'opposition semble bien illusoire. Décevante même pour la Troïka. Parce que l'efficience d'un pouvoir, quel qu'il soit, dépend aussi du type de contradicteurs auxquels il doit faire face. Sinon, les réflexes d'autoréférentialité reprennent le dessus. Ce qui est un autre mode de paresse et de monotonie. Et la lassitude des gouvernants est l'antichambre de toutes les dérives des pouvoirs, quels qu'ils soient.