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«Cette grosse comédie me tue»
L'entretien du lundi : Raouf Ben Amor, comédien
Publié dans La Presse de Tunisie le 25 - 06 - 2012

C'est l'une des bêtes de scène qui ont marqué le théâtre tunisien. Son souffle d'acteur lui a permis d'évoluer sur d'autres créneaux, notamment le cinéma et la télévision. Raouf Ben Amor a cumulé les expériences artistiques depuis celle du Théâtre du Sud de Gafsa, à celle avec le Théâtre Phou ou encore le théâtre-cinéma Tamthil Klem avec son éternel complice Taoufik Jebali. Certes, on ne peut résumer le parcours de Raouf Ben Amor en quelques lignes, cependant une chose est sûre : le théâtre reste son premier amour. Après une courte convalescence, l'acteur semble reprendre du poil de la bête. Interview.
Comment allez-vous ?
Très bien. Je me sens en forme (sourire). Après une longue absence, je reprends mes activités artistiques. Je prépare, avec Kamel Touati et Taoufik Jebali, une nouvelle pièce intitulée «Les hommes en colère» que nous espérons achever vers la fin de cette année. Je joue également dans une sitcom ramadanesque produite par Nessma TV, «Dar Louzir», où j'interprète, avec Kamel Touati, l'histoire d'un ministre déchu après le 14 janvier. Je suis également sollicité par plusieurs chaînes et radios...
L'opération chirurgicale ne vous a -t-elle pas beaucoup fatigué ?
Ça va. Sauf que, parfois, je continue à délirer... Mes cauchemars ne passent pas et mon réveil tarde à venir. Je ne sais plus si nous sommes en juin 2010 ou 2011 ou encore 2012. Les dates s'embrouillent.
Ce sont certainement les derniers incidents (l'attaque du palais Abdelliya) qui vous mettent dans cet état ?
C'est plutôt l'ambiguïté de la situation qui m'inquiète. C'est cette grosse comédie qui me tue. On se sent perdu. On n'a plus de repères. Sans transparence, le désespoir s'installe facilement. On est à la recherche d'une Tunisie qu'on aime tous. Mais on a l'impression d'être sous une nouvelle occupation que l'on n'arrive pas à définir. Elle est menée par des gens qui semblent ignorer notre art, notre histoire, notre géographie et notre Islam des Lumières.
Que voulez-vous dire par Islam des Lumières ?
L'Islam de la beauté, des grandes valeurs de l'humanité, de la solidarité et de la paix. Au nom de la religion, on voit circuler, à travers nos rues et nos boulevards, des drapeaux noirs. Une couleur qui n'est pas porteuse d'espoir. Elle est triste et inquiétante. Je préfère le vert du drapeau de l'Arabie Saoudite (rires).
Croyez-vous que l'art est en danger ?
Ce sont surtout les artistes et les journalistes qui ont été maltraités. On a l'impression qu'on cible «l'intelligentsia» et l'élite de ce pays. Nous avons fait une révolution, entre guillemets, parce qu'elle est inachevée. La révolution culturelle n'a pas eu lieu. Pourtant, c'est la culture qui rectifie le tir. C'est l'élite qui devrait embellir la victoire et faire durer les moments de gloire pour qu'ils deviennent annonciateurs d'un avenir meilleur.
Pourquoi, à votre avis, la révolution culturelle n'a pas eu lieu?
L'artiste ne peut pas créer dans la violence et l'insécurité. Le spectacle, aujourd'hui, se déroule hors scène. Il est assuré par certaines personnalités politiques et par les élus de la Constituante. Parfois, ce spectacle est de très mauvais goût. Dans des conditions pareilles, le créateur a besoin de recul pour pouvoir comprendre et agir. Il y a ceux qui poussent des cris et qui hurlent. Mais on ne peut pas aujourd'hui s'attendre à voir des œuvres raisonnables. Il est encore tôt. Les conditions de création ne sont pas là.
Mais en attendant, on a perdu beaucoup de temps?
Absolument. La révolution nous a débarrassés d'une dictature. Mais elle nous a fait perdre une décennie. D'abord, il y a eu le gouvernement de Mohamed Ghannouchi, qui, par ses hésitations, nous a fait reculer de quelques années. L'émergence d'une centaine de partis politiques dont la majorité sont constitués de personnes inconnues et qui n'ont aucun sens politique, nous a éparpillés, rendant la situation plus compliquée et plus lente. Personne ne comprenait plus rien. On se retrouve, enfin, dans cette impasse. Tout cela nous amène aujourd'hui à des scènes aussi effrayantes que celles vécues ces derniers temps au palais Abdellyia.
Vous pensez que la situation est, aujourd'hui, inquiétante ?
Inquiétante ? Oui. Le ministère de la Culture a posé une plainte contre les organisateurs qui sont des mécènes de la plus grande manifestation d'arts plastiques. Il a aussi parlé d'exposants qui n'ont jamais suivi de cours... Interdira-t-on, prochainement le théâtre amateur, le cinéma amateur et la musique amateur qui sont le vivier de la culture et à travers lesquels germent les graines de stars ? Oublie-t-on que Ammar Farhat était un autodidacte ?... Le malaise est énorme. Il ronge les entrailles des vrais patriotes.
On dirait que ces incidents et ces attaques sont des prétextes?
Tout est prétexte sans aucun doute. On verse le tout sur le compte des salafistes. Le danger vient des criminels qui se laissent pousser la barbe et qui pratiquent toutes sortes de trafics. Nous avons assisté à une année de violence sans aucune riposte sérieuse de la part du gouvernement. Des suspects sont arrêtés et puis libérés dans le flou le plus total.
Vous êtes pessimiste ?
Non. Pas du tout. On en sortira vainqueur. Durant trois mille ans de civilisation, la Tunisie a vécu toutes sortes de guerres, de famines, d'humiliations et de catastrophes. Elle s'est toujours relevée et remise sur pied. Elle a toujours été soutenue par des hommes d'exception, allant d'Ibn Khaldoun jusqu'à Mahmoud Messaâdi, en passant par Aziza Othmana et autres... Après l'Indépendance, il y a eu des personnalités d'exception qui ont, par leur bon sens, «fabriqué» l'élite de ce pays. Chedly Klibi, à la tête du ministère de la Culture, a fait construire 250 maisons de la culture à travers toute la république. Il était à l'origine de la décentralisation des arts. Grâce aussi à Lamine Chebbi et Mahmoud Messadi, ministres de l'Education de l'époque, la Tunisie s'est dotée, dans les années 70, d'une génération parfaitement bilingue qui a engendré écrivains, comédiens, poètes d'une grande qualité et qui ont excellé sous la dictature de Bourguiba et de Ben Ali.
Comment avez-vous supporté, en tant qu'artiste, une cinquantaine d'années de censure ?
Il ne faut pas oublier que nous avons imposé la liberté d'expression sous la dictature. Nos pièces, nos films, nos écrits et nos poèmes étaient osés. Nous avons eu des commissions de censure, certes, mais avec qui on se débattait pour un mot ou une virgule et on arrivait souvent à dire ce que l'on voulait à travers un dialogue d'intelligence et de maturité. Force serait de reconnaître aussi que le système profitait de notre audace pour donner une image de liberté. Et nous n'étions pas dupes.
Quels sont les moments les plus frappants de cette dictature ?
Je me rappelle qu'en 1973, quelqu'un est venu dire au président Bourguiba que le théâtre est devenu subversif. Le président a décidé donc de voir, dans son petit théâtre du palais, une pièce par jour. Thaourat el zenj l'a mis hors de lui. Et c'est toujours Chedly Klibi qui prend la défense de ces artistes. Je me rappelle aussi d'un autre incident aussi grave. Lors d'une soirée poétique assurée par le trio Mahmoud Derwich, Nizar Kabeni et Adonis, organisée, en 1976, au festival internationale de Carthage, un jeune poète Habib Zanati a présenté, en préambule, son fameux poème: «Il est entré dans son palais et sorti de son époque»... Sans l'aide du ministre, encore une fois, le jeune poète n'aurait jamais échappé à la prison. Même si c'était un système de dictature, la roue de la création tournait et c'était grâce à des personnalités qui savent soutenir la création artistique. L'expérience la plus extraordinaire de ma carrière, je l'ai vécue aussi suite à une initiative personnelle du gouverneur de Gafsa, dans les années 1972, Taher Boussena.
Comment cela ?
Après son passage au Kef, ce gouverneur, affecté à Gafsa, a voulu reprendre l'expérience du théâtre de Moncef Souissi. Nous avons donc été appelés dans cette région pauvre et misérable. J'étais avec Raja Ben Ammar, Fadhel Jaziri, Fadhel Jaïbi, Mohamed Driss. On a créé des pièces que nous avons jouées dans les régions éloignées. Nous avons recruté de jeunes adolescents, à qui on enseignait le théâtre. Progressivement, nous avons acquis une grande popularité. Nous avons même joué la première de la pièce Joha, au Théâtre municipal, accompagnés de l'orchestre de Mohamed Garfi, bien installé dans la fosse de la Bonbonnière. C'était une première !
Apparemment, votre passage à Gafsa vous a marqué à vie?
Oui. Sans aucun doute. Nous avons réalisé des choses merveilleuses, avec peu de moyens. Je me souviens du festival du théâtre maghrébin que nous avons organisé à Monastir. On se réunissait dans un lycée pour présenter et débattre de nos pièces respectives. Les discussions pouvaient durer jusqu'à l'aube. Nous avons tissé des relations d'amitié très solides. L'union maghrébine, c'était d'abord notre initiative.
Vous pensez que de telles expériences sont réalisables aujourd'hui ? Pensez-vous que les jeunes sont capables d'être aussi perspicaces que vous ?
Ces vingt dernières années, l'éducation a beaucoup reculé. Nous sommes dans une phase de non-maîtrise de la langue de Voltaire et de même pour l'arabe littéraire. Les jeunes parlent un langage mitigé qui est une sorte d'argot à la tunisienne. Tout est à reconstituer sur des bases solides. Il nous faut encore une décennie au minimum pour voir le terreau culturel germer de nouveau.
Croyez-vous que nous sommes capables de sortir de l'impasse ?
La conscience est bien là. N'ayez pas peur. Il ne faut pas mépriser le peuple tunisien. Ce dernier est capable d'appréhender la situation si on cesse de lui raconter des histoires à dormir debout. Il faut lui dire la vérité et lui expliquer le «pourquoi» et le «comment». Le peuple n'est pas débile.
Il est temps qu'il sache ce qui a été réalisé durant ces derniers mois. Il est important de savoir où il va. Actuellement, personne ne voit le bout du tunnel. Depuis janvier 2011, on est au courant de certaines arrestations de personnalités importantes qui attendent d'être jugées. Soyons sérieux. Il faut dire au peuple ce qui en est et essayer de résoudre ses vrais problèmes au lieu de le plonger dans la polémique qui lui fait perdre du temps. Mille et une promesses n'ont pas été tenues. Ce sont les programmes clairs qui donneront de l'espoir et non les discours politiques. Même les analphabètes possèdent une sagesse populaire. Ils savent être positifs et peser le pour et le contre. Ils te sortent des vérités étonnantes par leur bon sens.
On pourra s'en sortir ?
Tout est possible tant qu'il y a l'intelligence et la sincérité. On oublie son ego et chacun fait le peu dont il est capable et c'est comme ça que la Tunisie a survécu pendant des siècles.


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