Par Soufiane Ben Farhat Les dés sont jetés. La classe politique tunisienne assume. Les présidences de l'exécutif se chamaillent à longueur de journée sur des prérogatives, des chasses gardées, des domaines réservés. Au point d'en éluder l'essentiel : la rédaction de la Constitution. On nous en promet cependant la première mouture pour la mi-juillet. Attendons voir. Entre-temps, le président de la République semble être passé à l'offensive. Depuis trois jours, il rencontre à tour de bras. Hommes politiques nationaux et internationaux, parlementaires, associatifs, gens de divers horizons. Moyennant deux grands absents : le ministre-conseiller chargé de l'Information, démissionnaire bien évidemment ; et le ministre porte-parole de la présidence de la République, aux abonnés absents, étrangement. En tout état de cause, le chef de l'Etat réagit à sa manière à sa non-information sur l'extradition de Baghdadi Mahmoudi. L'ex Premier ministre libyen avait été remis en catimini aux autorités de Tripoli. L'amour-propre présidentiel en fut outré. Et, depuis trois jours, le chef de l'Etat donne l'impression de réagir. La réponse du berger à la bergère en quelque sorte. Le président de la République, M. Moncef Marzouki, rencontre donc les représentants des partis politiques représentés ou non à l'Assemblée constituante. L'autre chef de l'exécutif, le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, a reçu M. Mustapha Kamel Nabli, gouverneur de la Banque centrale. Le Président Marzouki l'avait pourtant démis de ses fonctions. Mais Ridha Saïdi, ministre chargé des Affaires économiques et sociales, avait déclaré que le gouverneur est maintenu et qu'il bénéficie de l'appui du gouvernement. Simples curieux et spectateurs engagés spéculent sur la nouvelle réaction de Moncef Marzouki. La politique en est réduite, hélas, à cela sous nos cieux. Un jeu de ping-pong d'actions-réactions nourries par la surenchère sur fond d'ego. Franchement, nous méritons mieux. Si certains croient que c'est cela la démocratie, ils gagneraient à refaire leurs écoles en politique. Comme le dit si bien notre proverbe dialectal, certains font l'apprentissage de la coiffure sur les têtes des petits orphelins. Mais la vie politique dépasse la cocasserie proverbiale. Il en va de tout un pays, de son devenir, de la destinée de générations entières. La légèreté avec laquelle les ténors de la place politique s'y prennent est navrante. Elle préfigure même le pire. Qu'on est loin de la première génération des rédacteurs de la première Constitution au lendemain immédiat de l'Indépendance, il y a cinquante-six ans. Le monde avance à rebours. La révolution de 2011 a consacré le pluralisme. Mais l'illusion du progrès est de mise. Il y a une espèce de nivellement par le bas. L'insignifiance des postures partisanes rejoint le populisme ambiant, sur fond de racolage politique et de clientélisme. Aujourd'hui, ce qui est impérieux, c'est la fixation d'un échéancier politique clair, net et précis. D'abord, la rédaction de la Constitution, à brève échéance. Puis l'élaboration des lois régissant la vie politique et médiatique (Code électoral, Instance indépendante pour les élections, Instance de régulation des médias audiovisuels...). Puis la fixation des dates et des modalités des prochaines élections. Jusqu'ici, les querelles de chapelle l'emportent. Il y a trop de sectarisme, de corporatismes étroits, d'esprit de clocher, de féodalité et de tribalisme pseudo-politique. Les grands desseins s'évanouissent dans les petitesses d'une classe politique avortée ou atrophiée. Les hommes réduisent les grands idéaux à l'aune de leurs égoïsmes réducteurs. Les observateurs avertis sont révulsés par tant de cafouillage mettant en péril les institutions républicaines. Il y va en fait de la pérennité et de l'efficience des institutions. Le sauvetage est nécessaire. Autrement, le péril en la demeure de la place politique deviendra fatalement irréversible.