Par Hédia BARAKET Marquée par la reconduction de Rached Ghannouchi, et son appel au consensus, la clôture lundi soir du 9e congrès du parti Ennahdha a laissé bien des questions cruciales en suspens, dont celle-ci : En quoi le parti islamiste peut-il devenir un parti «centriste modéré», comme ses congressistes l'ont autoproclamé à travers la motion politique votée samedi dernier ? En cinq jours d'un congrès qui s'est voulu historique et décisif – comme d'ailleurs en huit mois de gouvernance des postes clés de la Tunisie —, le parti Ennahdha semble loin d'engager quelque rupture que ce soit, loin de révolutionner quoi que ce soit, loin de se connecter aux vraies attentes de la Tunisie. Rien de révolutionnaire Dans son règlement intérieur, sa présidence, et ses motions, rien n'a été voté qui n'a été le fruit du compromis de ses mille congressistes. Arrangement habituel si familier à ce parti qui sait voiler les véritables enjeux, dissimuler les débats, occulter les vrais objectifs, doubler les institutions, reporter les projets essentiels et faire l'impasse sur les questions qui divisent. Pour un congrès qui précède de quelques mois seulement une nouvelle échéance électorale (la bonne cette fois), il a même été légitimé de célébrer le pouvoir parvenu et futur, de mobiliser familles et enfants, de continuer à séduire des bases populaires divergentes en tous points, à ménager des franges radicales et des troupes brutales, en cultivant l'ambiguïté et en tenant le même langage laconique et imprécis de tous les jours. Le tout au frais de positions fermes, d'une politique plausible et cohérente, digne d'un parti qui se dit porteur d'un projet réformateur, ne serait-ce que le temps d'un congrès. Rien de révolutionnaire dans ce premier congrès post-révolutionnaire d'Ennahdha, sauf peut-être cette nouvelle composition : dans sa motion politique votée samedi 14 juillet, le parti islamiste s'autoproclame, avec l'aval d'une majorité de congressistes, un parti « centriste modéré »... Des mots qui viennent de loin et sonnent fort. Sauf que, relativement à sa nouveauté et à ce que devait être son poids politique, l'annonce n'a bénéficié que de peu d'intérêt et peu d'effet dans la foule des déclarations, des grands et des petits mots lâchés lors de cette grande messe. L'information est alors tombée égale à toutes les autres. Peu de commentaires, peu de questionnements s'en sont suivis, ne serait-ce que pour savoir au moins si le centrisme est adaptable à l'islamisme et si l'orientation centriste modérée est politiquement et idéologiquement plausible dans ce cas. Il ne s'agit pas de prédire l'avenir, ni de juger des intentions pour y répondre. Pas plus que de conjecturer sur la nature, les référents et les vrais mobiles du centrisme que prône Ennahdha, un parti dont la doctrine et les orientations semblent, à ce jour du moins, se muer au gré de la seule ambition de rallier. Ce n'est donc pas Abu Yarib Marzouki, philosophe du mouvement, prônant l'échec des philosophes des lumières et le déclin du libéralisme occidental qui répondra à cette question. Il reste alors de faire un retour à l'historique, aux sources premières et aux usages dérivés des mots. Un exercice qui s'avère utile en l'absence de tout autre détecteur. Qu'est-ce que le centrisme et d'où vient-il ? Un premier centre politique est apparu en France, lors de la Révolution française, au même titre que sont apparues la droite et la gauche. Dans l'Assemblée de 1791, ce sont des députés qui se démarquent à la fois des proches du roi et des révolutionnaires(*). Ils seront baptisés la «Plaine» ou le «Marais» par leurs détracteurs. Ce terme vient de l'opposition entre eux et les Montagnards ; les révolutionnaires extrémistes et qui ont décidé de se placer en haut et à gauche de l'Assemblée. C'est ainsi que naît la lutte entre la Montagne et la Plaine... Le terme péjoratif de «Marais» montre qu'adopter une position au centre n'était déjà guère aisé. Cependant, en tant que pensée politique autonome, le centrisme ne prendra véritablement son essor qu'après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui encore, il cherche ses marques et ses positionnements, qualifié tantôt d'espace intermédiaire, de voie moyenne ou de juste-milieu. En France où il a vu le jour, son actualité est loin de briller par sa réussite. A côté d'une définition qui le lie intimement à l'humanisme, au libéralisme social, au progressisme, à la liberté, à la tolérance et à tous les principes de la démocratie républicaine, il est plus que jamais remis en question, surtout depuis les dernières élections qui ont favorisé la montée de la gauche face à une droite radicalisée. C'est dire que se proclamer du centrisme avant même de répondre à des questions de fond quant à des projets politique, économique, sociétal et culturel qui le marquent idéologiquement comme nébuleuse conservatrice dans l'ensemble, place exprès le parti Ennahdha dans une sorte de flou doctrinal qui ajoute à l'incertitude de notre paysage politique. S'agit-il d'un coming out signifiant clairement, comme pour d'autres partis de centre-droit, qu'Ennahdha est un parti de droite se cachant derrière une étiquette improbable de centre ? S'agit-il encore d'un constat marketing pour faire plus de voix et d'un simple opportunisme lui faisant encore une fois tourner le dos à la pureté idéologique ? La réalité du parti Ennahdha résume peut-être tout ceci à la fois. En attendant d'en savoir plus, le site du congrès continue d'afficher une série de questionnements hallucinants intitulés «Qadhaya Al Mouatamar» où la machine du parti dispute la primauté aux projets qu'il prépare pour la Tunisie... A lire absolument pour tenter de comprendre de quelle idéologie encore sans visage se proclame Ennahdha.