C'est à un long week-end démarrant jeudi 12 juillet dès le matin que nous convie le Mouvement Ennahdha pour son neuvième congrès national, le premier depuis qu'il est au pouvoir et le premier qui ne soit pas clandestin. Cet exercice du pouvoir semble devoir jouer un rôle important dans le recentrage de la doctrine nahdhaouie après qu'il a, dans le feu de l'action, montré l'aptitude de ce parti issu du fondamentalisme et de l'intégrisme à coller au vécu et aux attentes du peuple, dans une adaptation impressionnante à la réalité tunisienne. Les 60.000 militants du parti ont depuis le 20 avril dernier, et à travers une assiduité dépassant les 50% dans les congrès locaux puis régionaux, désigné les 1.103 congressistes qui statueront sur les options futures et éliront les nouveaux dirigeants d'Ennahdha. Le démarrage du congrès s'est entouré d'un statut festif incontestable, à travers les 30.000 personnes qui vivront l'événement au parc des Expositions du Kram, lieu de prédilection, dans le temps, des congrès de feu RCD. Festif également par les multiples manifestations culturelles, artistiques et intellectuelles prévues. Les assises d'Ennahdha, ponctuées par de nombreux colloques, séminaires et conférences brassant un vaste échantillonnage de thèmes intellectuels, doctrinaux, politiques et sociaux, se conçoivent ainsi comme un énorme incubateur d'idées, en cette étape essentielle de l'histoire de la Tunisie où la révolution populaire se cherche, à travers les offres de services et de modèles des différentes forces politiques en présence, les trajectoires les plus passantes. Car ce mouvement islamiste modéré qui a réussi à rafler 40% des voix le 23 octobre dernier compte saisir l'occasion de son congrès pour homogénéiser ses rangs, clarifier ses concepts et références, et s'ouvrir aux jeunes et aux intellectuels non forcément islamistes, tout en dévoilant sa puissance et son savoir-faire en une vaste opération de marketing politique. Entre les leaders sortis des prisons du régime dictatorial et ceux qui avaient réussi à s'exiler, entre les doctrinaires radicaux et les politiciens pragmatiques, entre les militants de la première heure et les générations successives, entre les hauts cadres stratèges et les bases enthousiastes et spontanées, entre les idéologues dogmatiques et les hommes et femmes de terrain forgés par l'action, le débat sera chaud et l'enjeu crucial. Car, au détour de ce tournant du choix démocratique imposé par la révolution et l'exercice du pouvoir, le Mouvement Ennahdha se devra de décliner sur plus d'un thème et plus d'une question ses options stratégiques, sa nature et son devenir. Ainsi que sa vision du monde. Plusieurs problématiques liées à la doctrine, au système politique et au projet de société, qui ont montré en diverses occasions qu'elles divisaient Ennahdha, sont ainsi appelées à trouver la voie d'un arbitrage obligé ou tout au moins les conditions d'autant de compromis viables. Le rappel des fondateurs du Mouvement de la tendance islamique et du premier groupe historique, à l'image de Abdelfattah Mourou, Salah Karkar ou Ben Issa Eddemni, présage une option en faveur du consensus le plus souple et du compromis le plus large. Même si les clarifications au niveau des référentiels ne pourront être évitées, pas plus, sans doute, que certains choix tranchés qu'exige la crédibilité de l'engagement du mouvement dans la logique implacable de la vision républicaine et les exigences de la démocratie pluraliste. Comme destiné à responsabiliser les congressistes, «Notre avenir est entre nos mains», slogan du congrès, donne aux assises la solennité que l'enjeu impose. Ennahdha, premier parti islamiste à accéder au pouvoir par les voies de la démocratie pluraliste, dans le pays de la première révolution dudit printemps arabe, est en charge d'un message forcément historique sur l'avenir du ou des islamismes politiques. Sur le plan technique, et après l'ouverture solennelle du congrès où 200 personnalités du monde entier sont conviées dont Khaled Mechaâl, leader du mouvement Hamas, les congressistes procéderont à l'élection du président du congrès et des membres des différentes commissions. La discussion des rapports moral et financier aura lieu vendredi, et celle des motions se fera samedi, suivie d'un débat sur les choix du mouvement et les recommandations du congrès. Enfin, dimanche verra l'adoption du nouveau statut du parti et l'élection des structures de direction, à commencer par le nouveau président d'Ennahdha. Une déclaration finale clôturera les travaux de ce congrès que le monde entier suivra avec une très grande attention, au moment même où l'expérience égyptienne donne à voir l'amorce d'un inquiétant bras de fer. La démocratie dans notre pays, dans le monde arabe et dans les autres pays musulmans, n'en est-elle pas, en définitive, l'enjeu caché ?