Par Soufiane Ben Farhat Les jours se ressemblent à l'Assemblée constituante par les passes d'armes qui y ont lieu. La dernière en date laisse des traces profondes. Elle creuse des sillons dans l'édifice lézardé de la Troïka gouvernementale. Et pour cause : le vote avalisant la nomination du nouveau gouverneur de la Banque centrale a divisé la majorité et accusé ses lignes de clivage avec l'opposition. Une nouvelle pomme de discorde est apparue. Jusqu'ici, les différends opposaient la majorité soudée et l'opposition aux aguets. Mais là, on est passé un cran au-dessus. Témoin, le vote proprement dit. La Troïka gouvernementale dispose d'une majorité absolue de 138 voix sur les 217 que compte l'Assemblée. Elle n'a obtenu que 97 voix avalisant la nomination du nouveau gouverneur tandis que les voix contre se sont élevées à 89. Théoriquement, 41 voix ont fait défection à la majorité. Certaines d'entre elles ont voté pour l'opposition qui engrange des voix supérieures à son potentiel réel. Exercice démocratique, assurément. Mais non sans enseignements majeurs. D'abord, la pomme de discorde portait sur les affiliations du nouveau gouverneur à l'ancien parti dominant du régime déchu. Les constituants d'Ennahdha et quelques apparentés se sont coupés en quatre pour soutenir que ladite affiliation était sans gravité et plutôt «légère». Le mot a été solennellement prononcé. Certains constituants n'en revenaient pas. Que dire du projet de loi tendant à empêcher tout ancien responsable politique du régime déchu de se présenter aux prochaines élections? N'est-ce pas le mouvement Ennahdha et ses alliés qui s'y agrippent mordicus, bec et ongles ? Aujourd'hui, les choses semblent en passe de changer. Ce vote est passé in extremis, avec une très courte majorité relative, après d'âpres débats et de bien pointus échanges à l'Assemblée. Ses effets pervers se feront bientôt ressentir. Il y aura d'autres votes, bien plus significatifs et lourds de conséquences. Comme la nature du régime politique, parlementaire, présidentiel ou intermédiaire. Comme le Code électoral, la loi portant institution de la haute instance des élections ou celle relative à la haute instance audiovisuelle. De nouveaux clivages sont là. Ils sont appelés à perdurer. Le différend qui les sous-tend est plutôt lourd. Et lourd à digérer aussi. Le mouvement Ennahdha a-t-il bien manœuvré en l'occurrence ? Jusqu'ici, on a assisté à l'effritement de ses alliés, le CPR et Ettakatol surtout. Les fissures s'insinuent désormais dans sa propre chapelle. Tel constituant d'Ennahdha avait même publiquement stigmatisé la nomination du nouveau gouverneur qu'il juge immorale et ignominieuse. Il n'est guère un cas unique. A défaut de s'acquitter de sa principale tâche –la conception de la Constitution—, la Constituante s'abîme dans les querelles intestines. En politique, tout a un prix. Les tergiversations et les sordides calculs de boutiquiers finissent toujours par être payants dans le mauvais sens. La Troïka semble plus que jamais sérieusement ébranlée. Elle est travaillée par des tiraillements horizontaux et en profondeur. Ce qui en rajoute à sa crise de légitimité. Autre considération et non des moindres : la bataille éthique est en passe d'être perdue par l'establishment. Déjà, le népotisme, le clientélisme et le réseautage familial du gouvernement et des institutions républicaines en révulsent plus d'un. Ajoutons-y les limogeages scabreux de hauts commis et les nominations douteuses de personnes obscures ou traînant de bien criardes casseroles. Et la boucle est bouclée. En politique, rien n'est gratuit, ni hasardeux. Tout s'enchaîne dans la logique sourde du pouvoir. Et tout finit par passer un jour ou l'autre à la caisse. Ou à la casse. En politique, c'est tout comme.