Le bruit a couru plus d'une fois : Houcine Dimassi serait sur le point de démissionner. C'est chose faite. Dans un communiqué rendu public, le ministre incrimine de «multiples dérapages» ayant trait à l'équilibre des finances publiques, se plaint du manque de concertation, évoque la mauvaise coordination entre les membres du gouvernement... outre les conditions arbitraires et injustes du limogeage du gouverneur de la Banque centrale. Sur le départ, le ministre a bien voulu accorder au journal La Presse un entretien glissé entre la cérémonie de passation et des adieux émouvants aux cadres du ministère. C'est la deuxième fois que vous quittez un gouvernement post-révolutionnaire. Est-ce un tempérament ou êtes-vous spécialement à cheval sur les principes ? Ce qui guide mon action, c'est la volonté de servir mon pays. Je veux servir mon pays, mais pas n'importe comment. L'essentiel pour moi c'est de contribuer à créer les conditions qui favorisent le progrès et la prospérité de mon pays. Aujourd'hui, mais aussi et surtout demain. Qu'est-ce qui a précipité votre départ du gouvernement ?La révocation de M. Nabli a-t-elle joué en faveur du timing choisi ? La question de Nabli a, en quelque sorte, accéléré mon départ mais ce n'est pas la raison principale. Ce qui m'a amené à quitter, c'est le désaccord à propos de questions d'ordre budgétaire qui sont essentielles. La plus importante est relative à la loi en préparation concernant la réinsertion et l'indemnisation des bénéficiaires de l'amnistie générale. La seconde concerne les charges extrêmement lourdes et croissantes des dépenses de compensation. Et, plus particulièrement, la compensation des carburants. Vous étiez favorable à une augmentation du prix de l'essence et du mazout, c'est donc, peut-on dire, une démission impopulaire. En apparence oui mais en réalité l'allègement de ces charges de compensation est vital pour le devenir du pays. Aujourd'hui, plus qu'hier, nous avons besoin d'argent pour faire employer les milliers de jeunes, et surtout les diplômés, qui attendent, et pour développer les régions défavorisées plutôt que pour consommer, voire dilapider certaines denrées. Je pense aux dérivés des céréales, mais aussi aux carburants... De toutes les façons, si certaines décisions objectives dans l'intérêt du pays, aujourd'hui et surtout demain, devraient être prises, il faut le faire même si ça gêne parfois l'opinion publique. Gouverner, ce n'est pas agir en fonction de l'écho de la rue, mais corriger, réformer et assumer le devenir de la nation. C'est la deuxième démission au sein du gouvernement Jebali. Comment voyez-vous l'avenir de ce gouvernement ? Ce gouvernement peut très bien achever sa mission jusqu'aux nouvelles élections. Mais la cohabitation entre les membres du gouvernement dépend de leur entente sur les principales orientations. Vous avez évoqué l'indemnisation des bénéficiaires de l'amnistie, avez-vous une autre conception de la chose ? Il faut préciser que les bénéficiaires de l'amnistie ont un droit légitime à être indemnisés. Toutefois, dans l'état actuel des choses, les conditions financières du pays ne sont pas favorables. La Tunisie passe par une conjoncture extrêmement difficile cette année, mais aussi et surtout les deux prochaines années. Mon point de vue donc, c'est que le droit de ces militants à être indemnisés correctement devrait être reporté jusqu'au moment où le pays reprendra son souffle. Sachant que les fonctionnaires qui avaient été licenciés par l'ancien régime ont été réintégrés. On a parlé d'une enveloppe globale de 750 millions de dinars. Quel est en fait le montant global de l'indemnisation prévue ? Ce montant ne peut pas être évalué de manière précise, car tout dépend du nombre des bénéficiaires qui sera retenu et du montant de l'indemnité par personne. Mais, dans tous les cas, cette masse serait très importante, surtout si l'on prenait en considération les limites actuelles des ressources dont nous disposons. Est-ce que le budget 2012 a prévu ces dépenses d'indemnisation ? Le budget n'a pas prévu ce genre de dépenses. Mais lorsque le bruit a couru que cela correspondrait à 700 ou 750 millions de dinars, certains ont louché vers une réserve spéciale prévue par le ministère des Finances à d'autres fins. Il s'agit d'une réserve de 700 millions de dinars prévus au titre II en prévision de trois éventualités fondamentales : faire face au gonflement des dépenses de compensation, financer les prévisibles augmentations salariales de la Fonction publique, temporiser les difficultés des entreprises et institutions publiques (municipalités, caisses sociales...). Alors que vous quittez le gouvernement, avez-vous des conseils à donner aux pouvoirs publics pour l'avenir ? Dans cette étape critique, il faut rationaliser le plus possible les décisions en fonction de l'intérêt immédiat et futur de la nation. Dans votre communiqué, vous évoquez des «dérapages» ayant trait à l'équilibre des finances publiques. Avez-vous subi durant votre travail au sein du gouvernement des pressions à ce niveau ? En cette année 2012, les ressources classiques du budget se sont avérées insuffisantes par rapport aux ambitieuses dépenses envisagées pour satisfaire le maximum des attentes sociales générées par la révolution. Cependant, nous avons tenté de trouver des ressources exceptionnelles pour répondre à cette ambition. Il s'agit, en particulier, de la cession des biens confisqués qui appartenaient aux proches de l'ex-président et du recours aux réserves provenant de la cession d'une partie du capital de Tunisie Télécom réalisée en 2006. Toutefois, il n'est pas possible de compter en permanence sur ce genre de ressources, car elles sont non renouvelables. C'est pourquoi je dis qu'il faut faire attention à la préservation des finances publiques. Et j'insiste sur le fait qu'en la matière, les années 2013 et 2014 seront très dures. Il ne faut pas oublier que les ressources fiscales vont baisser du fait du décalage de la fiscalité par rapport à l'économie réelle. Sachant que les ressources provenant des transferts des entreprises publiques bénéficiaires (surtout Sfax-Gafsa et le Groupe Chimique) seront quasi-nulles en 2013 du fait de la chute de la production, et donc des bénéfices, en 2011, suite aux turbulences qu'a vécues le bassin minier.