Par Bady BEN NACEUR Si la révolution du 14-Janvier peut être qualifiée de «révélation», c'est bien parce qu'elle s'est débarrassée de la dictature et qu'elle a donné au peuple tunisien et, par extension, aux peuples opprimés du monde entier, cet espoir de conquête de notions qui nous étaient devenues tellement étrangères : la liberté, la dignité, l'égalité, la fraternité... qui sont les facteurs essentiels de la «vérité pragmatique» à laquelle chaque citoyen du monde voudrait adhérer. J'allais dire le plus naturellement du monde. Oui, la révolution tunisienne aura été une sacrée «révélation», mais jamais une révélation du «sacré» telle qu'on veut nous le faire croire depuis le «succès très relatif» d'Ennahdha aux élections du 23 octobre dernier. Une révélation «mystique», ou cachée, qui est le propre d'une «vérité divine» et qui n'est pas à l'ordre du jour dans les revendications plutôt socioéconomiques du pays. Depuis quelque temps, la censure contre les arts et la pensée reprend du poil de la bête pire que durant le règne du président déchu, c'est-à-dire avec des excès, tellement brutaux, que l'on se demande si l'on ne va pas vers une dictature encore plus impitoyable que celle que le peuple a déjà endurée. La sinistrose vient, évidemment, du courant salafiste qui est lui-même le fer de lance du mouvement Ennahdha qui ferme les yeux sur tant de dérapages. Et, impossible, après cette pseudo-révélation du «sacré» faite à coups de prêches et de violences mêlés, d'en découdre contre ces nouvelles forces du Mal. Partout, sur le territoire tunisien, le désenchantement et le pourrissement des situations comme à l'aube de la révolution elle-même. Souvenons-nous de cela, car il n'y a pas vraiment longtemps que cela s'est passé et que, la révolution, un moment fourbue pourrait reprendre haleine demain. Mais elle a aussi besoin qu'on la réanime comme aux tout premiers jours. La culture et les arts que l'on cherche à frapper d'interdit maintenant sont absolument nécessaires à la revitalisation de la révolution du 14-Janvier. Il y a urgence en la matière car le danger est de partout maintenant. Oui, frappés d'interdit le rôle capital du Rêve et de cette bonne Folie de toute une jeunesse qui avait, contre la dictature impitoyable et déshonorante, sonné le clairon de cette révolution. Le beau Rêve, ancien, lancinant d'Abul Kacem Chebbi face au Destin. La belle Folie de tout un peuple prêt à en découdre avec les éventuels usurpateurs de cette révolution. La culture et les arts, pour Jean Genet, étaient la troisième «révélation» d'une possible révolution. Il déclarait en ce sens (in Tel Quel n°29) «ces sortes de vérités qui ne sont pas démontrables, celles que l'on ne peut conduire jusqu'à leur extrémité sans aller à la négation d'elles et de soi, c'est celles-là qui doivent être exaltées par l'œuvre d'art. Qu'elles vivent par le chant, qu'elles sont devenues et qu'elles suscitent». Suscitons, donc, la culture et les arts au lieu de les bafouer à tout bout de champ. Ils sont ces levains formidables à la pratique du civisme que l'on commence à perdre de vue en Tunisie. L'esprit civique se fonde, ne l'oublions pas, sur l'association indissociable de la liberté et de la responsabilité. L'art n'est pas gratuit. Il comporte et il entraîne un esprit critique. Il initie aux conventions de la vie sociale, en même temps qu'il prépare à la libre initiative personnelle. Il en va de même dans tous les secteurs culturels. Et il sait, comme en ces temps révolutionnaires, vivre en couple «liberté-responsabilité», c'est lui qui fera avancer la révolution car il est cette autre révélation à laquelle personne n'avait pris garde.