Par Khaled TEBOURBI On va peut-être en choquer quelques-uns, surtout parmi l'actuelle majorité, mais comme étaient les médias dans l'année qui a suivi la révolution paraît bien meilleur que ce qu'ils sont aujourd'hui. Pourquoi? Simplement parce que, pendant cette période, ces médias, pratiquement sans exception, ne s'occupaient qu'à s'exprimer en toute liberté. S'exprimer en toute liberté signifiait alors se rattraper sur les frustrations et les interdits d'un demi-siècle de dictature et de censure. Il signifiait aussi pour l'ensemble des journalistes, autant que pour tous les Tunisiens, se saisir d'une occasion historique inespérée, pour initier le pays à l'expérience de la démocratie. Beaucoup, en ce temps, s'étaient un peu effarouchés d'un «élan libertaire» sans entraves et sans limites qui avait tout l'air d'un «désordre médiatique». A la vérité, et quand on y réfléchit bien en ce moment, tout le monde à l'époque, la presse en premier, participait du seul et unique consensus sur la République civile, l'Etat de droit, la société moderniste et pluraliste. On y allait, tous, sans la moindre note discordante, élites, politiciens, citoyens, le journalisme a fortiori, l'idéal était le même, l'objectif était commun, qu'importaient «ses ratages», «ses débordements», «ses excès» ? Et l'éthique, et les principes Ceux qui ne sont pas d'accord avec cette vision des choses, précisément ceux de l'actuelle majorité, soutiendront évidemment le contraire. Ils diront, par exemple, qu'il n'y a rien de plus normal que cet «élan libertaire» se soit «atténué» depuis. Des élections démocratiques ont eu lieu. Des choix politiques et idéologiques se sont déclarés. Le consensus des débuts est «logiquement» remis en discussion. Cela doit «déteindre», forcément, sur l'attitude des médias. Et ce ne peut être qu'un «bien», puisque cela reflète «la diversité réelle du peuple tunisien». Soit, mais quand même ! Par-delà les choix politiques et idéologiques, par-delà les réalités et la diversité qui se déclarent et s'expriment dans le pays, par-delà les élections et les gouvernements, n'y a-t-il pas pour notre métier des règles éthiques à observer avant tout, envers et contre tout ? Le fait que des médias penchent pour ce projet politique ou pour cet autre, qu'ils défendent ce choix de société ou cet autre, qu'ils se rallient même à un parti plutôt qu'à un autre, n'est pas critiquable en soi. C'est le lot du journalisme partout dans le monde. Ce qui est à déplorer, c'est que cela se fasse aux dépens des valeurs essentielles que nous sommes, tous, censés partager et protéger. Aux ordres, nos deux chaînes Les cas «retors» abondent depuis le 23 octobre 2011. Un seul suffit à tout illustrer : celui de la télévision publique. Avant cette date, ces deux chaînes fonctionnaient dans une parfaite autonomie éditoriale. Si nos souvenirs sont exacts, cela n'incommodait personne. On s'en félicitait même. Après l'arrivée de la troïka, elles ont été accusées de tous «les maux», dont, particulièrement, d'être des «prolongements» de la télévision «bénaliste», des «novembristes», c'était le principal slogan brandi à leur encontre par le sit-in, long de près de deux mois, campé devant leur établissement. «La télévision publique appartient à tous les Tunisiens», avait-on crié alors, «elle se doit de refléter toutes leurs opinions, pas seulement celles qui sont défavorables au gouvernement en place». «Appel» aussitôt entendu et concrétisé sur le terrain. Changement de direction, «désignations officielles», controverses à n'en plus finir, tollé syndical, mais au bout du compte, ligne éditoriale modifiée. Dans quel sens, néanmoins? A l'opposé de ce qu'on reprochait dans le fameux sit-in. Défilé quotidien des ministres de la troïka aux infos du soir, rétentions de «la mauvaise actualité», insistance sur «la meilleure», «quasi»-disparition des personnalités de l'opposition, voire irruption dans la grille des émissions et des débats religieux. «Aux ordres, visiblement, nos deux chaînes publiques. «Porte-voix», du gouvernement et du tiers des Tunisiens qui avaient voté pour lui le 23 octobre 2011. On n'en voudra pas spécialement au gouvernement de la troïka et à sa frange d'électeurs d'avoir usé «d'un rapport de force politique» pour parvenir à leurs fins. C'était à la limite de «bonne guerre». Ce que l'on déplore le plus, c'est que rien n'y forçait, en particulier, tant les responsables que les journalistes de ces deux chaînes. Les impératifs éthiques, le respect des valeurs démocratiques devaient plutôt les en dissuader. Un point, un seul : mettre, comme ils le font, une télévision publique au service d'un simple gouvernement de transition équivaut à «violer» les règles de la future échéance électorale. Ceux que l'on ne cesse de mettre exclusivement en évidence aujourd'hui seront candidats aux prochaines élections parlementaires et présidentielles. Y songent-ils un instant?