Le nombre des consultations à l'hôpital Razi passe de 120 mille en 2010 à 138 mille en 2011. Comment se porte le Tunisien après la révolution? Est-il bien dans sa peau et dans son esprit? A -t-il réussi à surmonter la situation extrême à laquelle il n'a pas été préparé psychologiquement parlant, et continue-t-il à mener son train-train quotidien normalement? Donner une réponse favorable serait comme adopter l'attitude de l'autruche. Le malaise psychologique qui a émergé tel un mal nécessaire suite aux évènements du 14 janvier 2011 et qui s'est traduit chez certaines personnes par une explosion de pulsions agressives dure à maîtriser, ne s'est pas estompé. La dépression post-révolutionnaire en Tunisie s'avère un phénomène palpable qui surgit chez les adultes comme chez les jeunes. Il apparaît tant dans les attitudes signifiées au quotidien que dans les cabinets et institutions de prise en charge psychologique et psychiatrique. Selon l'avis du Dr Fadhel Mrad, président du comité médical à l'hôpital Razi, l'état psychologique post-révolutionnaire du Tunisien ne peut être qualifié de normal. «Ce malaise psychologique a été déclenché par les “dégage", prononcés durant les tout premiers évènements du 14 janvier. Ce mot, voire cette position, a engendré un état de stress post-traumatique chez les Tunisiens, dont les conséquences ne se sont point limitées aux personnes concernées par ce refus, mais ont touché des groupes de personnes, des membres d'une famille, d'un réseau de travail, etc.», explique Dr Mrad. D'autant plus que l'ampleur qu'a pris, d'un coup, le phénomène de la violence a été telle qu'il était difficile tant pour les victimes que pour les témoins de violence de surmonter le cap et de résister à l'angoisse émergente causée par l'insécurité et la peur d'un avenir incertain. Du coup, bon nombre de personnes ont eu du mal à supporter les symptômes physiques et psychologiques du stress post-traumatique. «Parmi les symptômes physiques de cet état post-traumatique on a décelé des crampes digestives, des troubles du sommeil, ainsi que le trouble du rythme cardiaque», fait remarquer notre interlocuteur. Vu la perpétuité des composantes de ce flou politique et la prédominance d'un climat hostile au respect et au civisme, un climat qui a métamorphosé la rue en un vaste terrain de violence régi par la loi de la jungle, le stress post-traumatique s'est approfondi pour donner lieu à un état dépressif proprement dit. La dépression post-révolutionnaire s'est, en effet, emparée des Tunisiens les plus vulnérables et les plus sensibles. «Ce sont ceux, précise le président du comité médical de l'hôpital Razi, qui vivent dans des situations psychologiques précaires qui ont succombé à l'épuisement, voire à la dépression. Il est important de souligner que les évènements du 14 janvier ont réparti les Tunisiens en trois groupes bien déterminés : il y a ceux qui ont opté pour une attitude psychologique de lutte, et donc d'affrontement de la situation; ceux qui ont opté pour une attitude de fuite psychologique qui traduit un certain déni d'auto-protection et ceux qui ont succombé à l'épuisement psychologique». Ce sont ces derniers qui, las de faire face à une situation dont ils ne comprennent point les règles et dont la peur d'un avenir incertain a envahi crescendo leur moral, qui se sont adressés aux spécialistes en psychologie et en psychiatrie. Selon le Dr Mrad, le nombre de consultations médicales à l'hôpital Razi a connu une nette augmentation au bout d'un an. En effet, selon le rapport propre à l'hôpital pour l'année 2011, le nombre des consultations médicales a atteint les 138.929, dont 51 mille consultations féminines et 87,5 consultations masculines, et ce, contre seulement 120 mille consultations en 2010, soit près de 18 mille consultations supplémentaires. «Outre la hausse quantitative des consultations médicales, certaines familles ont manifesté une incapacité naissante à prendre en charge un proche malade, et ce, vu l'absence de sécurité post-révolutionnaire. Du coup, le nombre des hospitalisations a, de même, connu une certaine croissance. Dans bien des cas, la dépression vire au suicide, un phénomène qui a pris de l'ampleur dans notre société», renchérit notre interlocuteur. Vivre une dépression ressemble à une descente aux enfers qui, loin de rendre la vie dure au seul malade, entraîne la famille et la société dans un parcours médical, psycho-thérapeutique et même administratif. La solution la plus directe à la dépression s'avère la mise sous traitement anti-dépresseur anxiollitique et thymorégulateur du patient avec un éventuel recours à la psychothérapie, et un indispensable congé de maladie. «Le nombre du contrôle médical relatif aux congés de maladie longue durée a connu depuis, le 14 janvier 2011, une nette évolution», souligne le Dr Mrad. La solution indirecte et sans doute la plus efficace n'est autre que de rétablir la sécurité politique et socioéconomique dans une société qui tend, à la fois, à la liberté et à la sérénité.