Par Tahar ABDESSALEM* «La statistique officielle constitue un élément indispensable du système d'information d'une société démocratique, fournissant aux administrations publiques, au secteur économique et au public des données concernant la situation économique, démographique et sociale et la situation de l'environnement». La fiabilité, la pertinence et l'accessibilité de l'information statistique officielle conditionnent la qualité du débat public et l'efficacité des décisions des différents acteurs. C'est en ayant à l'esprit ces caractéristiques de base d'un système statistique évolué que j'ai pris connaissance des dernières publications de l'INS. Sans entrer dans des analyses techniques détaillées, cela légitime les commentaires et interrogations suivants. Le 29 août et le 13 septembre 2012, l'Institut a diffusé deux informations quantitativement différentes (même si la tendance d'ensemble est respectée) concernant la croissance économique trimestrielle pour 2011 (en glissement annuel). Les données du 29 août aboutissent à une récession annuelle de -2,2 %, alors que celles du 13 septembre impliquent une croissance de -1,9% pour toute l'année. Une première question, apparemment technique: pourquoi l'INS ajuste-t-il ses résultats publiés en l'espace de 15 jours ? N'aurait-il pu, si cela était nécessaire, patienter ce court laps de temps avant de publier des données qu'il estime plus fiables ? En tout état de cause, une explication s'imposait. Evolution du PIB (prix de l'année précédente, glissement annuel) 13/09/2012 29/08/2012 Source : INS Parmi les informations majeures contenues dans la Note sur l'emploi et le chômage, 2e trimestre 2012, figure les «créations» d'emplois, respectivement de 36 400 et 24 500 pour le premier et second trimestre 2012, aboutissant à un total de 60 900 «créations» d'emplois. Au-delà de l'approximation de la définition «trimestrielle» (décembre-février et février mai), cette donnée attire l'attention si on la juxtapose au taux de croissance estimé à 3,3 %(en glissement annuel) : de façon approximative et en raccourci, les observateurs de la tendance passée de la croissance économique tunisienne ont coutume d'avancer, étant donné la structure productive du pays et ses paramètres de productivité, qu'1 % de croissance entraînerait 15-16 000 emplois. Alors comment se pouvait-il qu'une croissance annuelle de 3,3 % entrainât plus de 60.000 emplois ? En vérité, et c'est la question de clarification adressée à l'INS, ces « créations » d'emplois résultent de la comparaison des volumes d'actifs occupés aux différentes dates ; les modifications de cette donnée peuvent résulter de divers facteurs : investissement nouveau et véritable création d'emplois, reprise de poste après chômage technique ou même fermeture provisoire d'usine, embauches précaires telles que les chantiers conjoncturels, etc. La crédibilité de l'information exige la rigueur de l'observation et la précision de l'explication. Actifs occupés, mai 2007-mai 2012 Créations d'emplois annuelles Source : INS, 07 sept.12 Dans sa présentation de la note technique relative aux « Premiers résultats de l'enquête Budget, Consommation et Niveau de vie des ménages 2010 », 20 septembre 2012, l'INS précise : «Dans un premier temps, l'équipe d'experts de la pauvreté a procédé à l'examen des données de l'enquête des ménages et de la méthodologie utilisée pour construire l'ancienne mesure de la pauvreté. Les experts de la Banque africaine de développement et de la Banque mondiale ont noté que l'ancienne méthodologie a été solidement fondée et que les mesures antérieures de la pauvreté ont été correctement estimées». Ces appréciations n'empêchent pas l'Institut de publier des indicateurs de population en pauvreté extrême (supposée correspondre à la notion de pauvreté dans les anciennes publications), pour 2000 et 2005, substantiellement différents des anciennes productions statistiques dont la validité méthodologique est confirmée, et toujours figurant sur les supports de diffusion ! Une clarification informationnelle est certainement nécessaire à cet égard. Taux de population pauvre (%) Enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages-2000, 2005 Enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages-2010 Source : INS L'Institut national de la statistique continue de connaître des remous consécutifs au changement de sa direction. Beaucoup de gens ont longtemps estimé que si l'ancien régime a censuré l'information statistique, empêché son développement selon les canons internationaux de qualité et crédibilité et sa diffusion auprès du large public et des citoyens, la technostructure de l'Institut gardait un degré élevé de compétence et de probité. Est-ce toujours le cas ? *(Ancien élève de l'Ecole polytechnique et de l'Ensaf, France, Professeur de l'enseignement supérieur, sciences économiques, Tunisie)