Par Slaheddine GRICHI Nous le savions et nous l'avions dit : ces gens d'Ennahdha ne sont ni des hommes — et des femmes — de pouvoir, ni — surtout — d'Etat. Leur chef suprême vient de l'avouer, on ne peut plus clairement, dans l'enregistrement qui circule depuis trente-six heures sur les réseaux sociaux. «Ils n'ont ni l'expérience ni le savoir-faire pour diriger les rouages de l'Etat», a-t-il admis. Mais lui-même, qui se prévaut d'être le guide des islamistes, des nahdhaouis comme de «ses» frères qui prônent l'application de la charia (entendre les extrémistes et les salafistes, Ndlr), comme il dit, est-il l'homme d'Etat, le stratège, la matière grise et le faiseur de la nouvelle Tunisie, qu'il prétend incarner et veut accréditer auprès de ceux qui ont foi en lui ? Se faire «prendre», comme un novice, la langue dans le sac, en train d'énoncer son programme de multiplication à l'infini des «écoles» et des associations islamistes, de recours accru à des prêcheurs de l'étranger, de mainmise sur les forces de l'ordre et de l'armée et sur les médias, l'exclusion des démocrates et des laïcs, alors qu'il prétend, en public, tout à fait le contraire, voilà qui prouve que la tête pensante des islamistes a encore beaucoup à apprendre, elle aussi, pour diriger le pays. Mais cela n'est que la forme. Sur le fond, et comme l'on dit : «A quelque chose malheur est bon», cet enregistrement a eu le mérite de révéler au grand jour ce que manigance Rached Ghannouchi pour la Tunisie et le vrai coup d'Etat qu'il prépare à la République et à ses valeurs. Il a lui-même dénoncé son double langage, prouvé «pourquoi cheikh Ghannouchi fait peur» et mis à nu «les sombres desseins d'Ennahdha» (titres de deux articles parus dans cette même rubrique). Tout le reste n'est que simulacre, que ce soit négociations sociales sectorielles, concertations avec les acteurs politiques et sociaux, ou écriture même de la Constitution. Le cheikh est sûr du pouvoir qu'il détient et il compte le garder. C'est on ne peut plus clair. Tout comme il est évident qu'il veut abolir la République, islamiser l'Etat et mettre à l'écart (comment s'y prendra-t-il ! La charia lui ouvre les voies les plus extrêmes) tous ceux qui sont contre. Si Mustapha Ben Jaâfar et le président de la République, à un degré moindre, puisqu'il lui arrive de se démarquer nettement de la ligne d'Ennahdha, ne pourront pas prétendre qu'il ne s'agit pas là d'un coup d'Etat. Un coup d'Etat (à vrai dire) annoncé, qui s'inscrit dans la logique du dogme islamiste et dans la logique de Rached Ghannouchi. Ettakattol et le CPR à la croisée des chemins Et si nous croyons — encore — fermement que les plans nahdhaouis ne sont pas (aujourd'hui) réalisables, parce que nos forces armées et celles de l'ordre sont imbues des valeurs républicaines et parce que les vraies composantes de la société civile, entre Ugtt, Utica (entendre investisseurs), médias, associations et ONG, ne peuvent laisser leur Tunisie sombrer dans l'obscurantisme, contrairement aux «frères» de Rached Ghannouchi, ce sont surtout Ettakattol et le CPR de la Troïka qui doivent, ici et maintenant, se prononcer : sont-ils toujours pour une alliance qui les submerge et qui œuvrera à assassiner la République ? Une position historique où il ne s'agit pas de louvoyer, de camoufler ou d'engager des débats stériles sur des «procès d'intention». Cheikh Ghannouchi qui a tombé le masque, a décrété, sans le vouloir, qu'il n'y aurait pas d'échappatoire, ni de prétextes, pour ses alliés d'hier et d'aujourd'hui, encore moins pour ceux qui penseraient, par calcul électoral, de le rejoindre. N'est-ce pas M. Néjib Chebbi et compagnie ? Et que vive la République !