La succession d'événements politiques, ces derniers temps, en Tunisie, a fait émerger un fait remarquable quant au poids réel des différents partis, aussi bien ceux représentés à l'Assemblée nationale constituante que ceux en dehors de cette institution. Il faut dire que l'intérêt dans ce constat réside, surtout, dans le fait qu'il y ait un parti qui sort nettement du lot, en l'occurrence, Ennahdha. Puis, c'est le néant. Bien sûr, les représentants de l'opposition, dite démocratique, donnent de la voix, de temps à autre, au sein de la Constituante et à travers les médias, mais cela s'arrête là. On a l'impression que le parti islamiste fait le vide autour de lui et s'impose comme étant la seule force politique capable d'influer sur le cours des événements, alors que, théoriquement, il ne peut faire la loi que dans le cadre de son association aux deux autres partis du Congrès pour la République (CPR) et d'Ettakatol. La question qui se pose, donc, est : Comment le parti Ennahdha est-il parvenu à dominer, aussi outrageusement, « amis » et rivaux ? La réponse avancée par les analystes fait ressortir deux éléments interdépendants : la structuration solide et, surtout, la discipline. En effet, chez le parti de Cheikh Rached Ghannouchi, on ne badine pas avec la discipline. Et tout le monde obéit au célèbre adage arabe : « Soutiens ton frère, qu'il soit tyran ou victime ». Ainsi, quand une décision est prise, personne n'a le droit de la contester ou même d'exprimer un avis contraire en privé. Du coup, et comme tout se passe par le vote, même si une décision est contraire à la loi ou aux procédures, Ennahdha et ses deux partenaires de la Troïka, sont assurés de faire avaler n'importe quelle « pilule », sachant que dans certains cas, les deux petites ailes du CPR et d'Ettakatol sont contraints de suivre les consignes du parti islamiste, même s'ils n'en sont pas convaincus, de peur de représailles du « grand frère ». Il faut dire que ces deux formations, au départ démocrates et partisanes farouches de la défense des droits de l'Homme, semblent être prises dans un engrenage dont il leur sera difficile de se dégager. Perdant toute crédibilité auprès des vrais démocrates et ne pesant plus rien auprès de l'opinion publique, elles se trouvent dans l'obligation de continuer à faire du suivisme afin d'espérer récolter quelques miettes lors des prochaines échéances électorales. Résultat de cet imbroglio et, grâce à un esprit de discipline de fer, Ennahdha parvient à imposer sa ligne de conduite et à faire passer ses approches pour la future étape de la vie politique en Tunisie. Ainsi, tout est en place pour faire imposer aux Tunisiens un système politique parlementaire qui serait favorable au parti islamiste lors des prochaines élections législatives. Notamment après son vote, même controversé, au sein de la Commission chargée de ce volet. Ce bloc sans faille d'Ennahdha s'est révélé implacable lors de l'affaire de Baghdadi Mahmoudi et, plus récemment, lors de la décision du limogeage du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie où, malgré une argumentation fallacieuse et tendancieuse de Ridha Saïdi, représentant du gouvernement, contrée par une démonstration magistrale de Mustapha Kamel Nabli, le vote – encore une fois – a donné raison au parti islamiste. Les membres d'Ennahdha sont d'une solidarité et d'une discipline telle qu'ils sont allés jusqu'à rester assis au moment où leurs homologues de l'opposition entonnaient l'hymne national. Une première dans les annales ! Une manière de démontrer, si besoin est, que rien ne peut les faire départir de cet esprit de groupe uni. C'est ce qui a fait dire à certains membres de l'opposition qu'il s'agit, désormais, d'une « dictature par le vote ». Autrement dit, la discipline du vote s'est avérée plus tranchante que les mille et une interventions et argumentations concernant des décisions souffrant de vice de forme, voire d'illégalité. Mais, en face, qu'a fait l'opposition pour peser, un tant soit peu, sur l'échiquier politique face à Ennahdha ? Rien ou presque. Les scissions se sont multipliées en leur sein, les déclarations fracassantes des uns contre les autres sont devenues monnaie courante, etc. Cet effritement d'une opposition chancelante, explique le nombre trop maigre (62) des votants contre le limogeage du gouverneur de la BCT. Or, peut-on reprocher aux membres du parti islamiste de se présenter, toujours, en rangs serrés ? Logiquement et déontologiquement, la réponse est non. Plus encore, c'est leur devoir, s'agissant d'un comportement légitime, si l'on se place d'un point de vue, strictement, partisan. Il faut, donc, chercher la faille ailleurs. Plus précisément chez les membres de l'opposition qui continuent à agir en rangs dispersés et à jouer les vedettes médiatiques. Ce qui arrange les affaires d'Ennahdha et ce qui explique les craintes de ce dernier de la nouvelle formation de Nidaa Tounès de Béji Caïd Essebsi. Ce parti, qui essaie de faire regrouper les différentes composantes de l'opposition démocratique, libérale, progressiste, centriste et moderne, pourrait constituer un nouveau pôle apte à tenir tête au parti islamise et donner de l'espoir à l'émergence d'un force représentant une alternative viable, fiable et assez forte pour tenir tête à ce que certains présentent comme l'ogre nahdhaoui. En attendant, et si les élections devaient se tenir maintenant, Ennahdha pourrait réaliser une véritable razzia, à lui seul, surtout s'il faisait passer un mode de scrutin qui favoriserait les grands partis. Mais d'ici les prochaines élections, d'autres partis pourraient devenir aussi grands que celui islamiste actuellement au pouvoir. Noureddine HLAOUI