Par Néjib OUERGHI La vidéo du président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, diffusée mercredi a fait un énorme buzz dans les réseaux sociaux, a été relayée comme une traînée de poudre dans tous les médias, a provoqué une grande polémique et suscité interrogations, doutes et craintes. D'abord, les messages véhiculés par la vidéo ont donné froid dans le dos à tous ceux qui n'ont eu de cesse d'œuvrer pour favoriser la transition de la Tunisie vers la démocratie, milité pour le renforcement des fondements de l'Etat civil, le raffermissement des principes de citoyenneté, de droit et de libertés. Ensuite, le timing de la diffusion a surpris. Balancée à la veille de la tenue de la conférence de dialogue pilotée par l'Ugtt, censée sortir le pays d'une crise étouffante, la vidéo a été considérée, par certains, comme une manœuvre pour saboter un processus de rectification devant aboutir à la définition d'une feuille de route consensuelle qui mettrait un terme au doute, au scepticisme et à l'attentisme qui ne cessent de tarauder les Tunisiens. A l'évidence, quels que soient les arguments invoqués pour restituer le cadre de cette discussion, sa date et les personnes à qui sont adressés ces messages, les propos du président du mouvement Ennahdha ont fait plus peur qu'étonner. Ils ont, assurément, désorienté et désarçonné de nombreux observateurs qui n'ont pu suivre le fil d'Ariane liant d'ordinaire un discours officiel, porteur de tous les espoirs, et des positions laxistes exprimées dans les coulisses, se situant à l'antipode des attentes de la majorité des Tunisiens. En effet, jeter l'anathème sur l'armée, les forces de l'ordre, la justice, les médias, l'administration publique..., taxés de citadelles de la laïcité, laisse pantois sur le modèle de société qu'on tente d'instaurer dans le pays. Dans un petit pays ayant pour atout maître l'homogénéité de la population, qui se réclame dans sa quasi majorité d'un islam sunnite modéré et l'absence de tout communautarisme, les propos adressés à travers la vidéo aux représentants d'associations salafistes remettent sérieusement en cause les principes qui ont fondé la révolution tunisienne de la dignité, de la liberté et de la démocratie. La mise au point improvisée, vingt-quatres heures plus tard, à la télévision nationale par M. Rached Ghannouchi n'a pas convaincu. Elle n'a pas, non plus, levé totalement le voile, il est vrai épais, sur cette question d'une très grande gravité. Les critiques directes adressées aux corps constitués, à la justice, à l'administration, aux médias, ne peuvent pas être entendues par tout le monde comme des appels à ces jeunes pour le respect de la légitimité, du droit et de l'Etat. Pour un chef d'un grand parti politique, qui plus est celui de la majorité, il n'est pas permis, en tout cas, de tenir un double langage. Un premier destiné à une large opinion publique et un second qui cible les militants du mouvement. La duplicité du discours est une voie porteuse de tous les risques et de toutes sortes de dérives. La défense de l'Etat de droit, du modèle de société, de l'unité du pays, de sa stabilité et des valeurs de la démocratie et de la liberté supporte mal l'amalgame et, encore moins, le laxisme. Elle exige, assurément, un engagement fort et franc. Aujourd'hui, ce discours laxiste a prouvé ses limites et les salafistes ont montré, le 14 septembre dernier, leurs véritables desseins et leur grande capacité de nuisance. En témoignent les conséquences catastrophiques de leur attaque de l'ambassade américaine à Tunis qui a jeté un discrédit sur la Tunisie, altéré son image et semé le doute chez les opérateurs et les investisseurs étrangers. Il va falloir attendre longtemps, très longtemps même, pour effacer ces images indicibles du subconscient des Tunisiens et, surtout, d'une opinion internationale médusée par la propension de ces activistes à la destruction et à l'agression. Dans tous les cas de figure, la violence politique et la peur qu'ils entendent faire régner dans le pays marquent leur refus de tout choix démocratique et de toute civilité de l'Etat. L'instabilité, l'insécurité, le doute et la peur qu'ils veulent instaurer trouvent précisément leur source dans ce péril qui nous vient de ces groupes qui se considèrent comme les détenteurs de la vérité absolue. Par leur aveuglement, ils ont choisi le mauvais chemin, dans la mesure où les vrais problèmes que rencontrent les Tunisiens dans leur vie de tous les jours se réfèrent à l'emploi, à la santé, au logement, à la dignité, non à l'alternative que proposent les salafistes. Dans cette grisaille ambiante, une lueur d'espoir est en train d'apparaître malgré tout. L'initiative de l'Ugtt qui vise à désamorcer les menaces réelles qui planent sur la Tunisie et qui ont provoqué une sorte d'électrochoc chez la classe politique. En attendant les retombées des journées du 16 et du 18 octobre, on décèle, d'ores et déjà, des signes de décrispation et l'amorce de convergences à propos de questions qui ont, jusqu'ici, constitué une véritable pomme de discorde. Qu'il s'agisse du choix du régime politique, de l'achèvement de l'élaboration de la Constitution, de la date des élections, de la criminalisation de l'atteinte au sacré ou des dossiers brûlants de la presse, de la justice ou de l'instance indépendante des élections, des compromis sont en train de se dessiner et les positions des uns et des autres commencent à se rapprocher. L'Ugtt, cette organisation nationale qui a toujours été un acteur de premier ordre dans l'accession du pays à l'indépendance et dans la chute de la dictature, a réussi là où les autres forces politiques ont calé. Elle a prouvé qu'elle est la seule force qui s'est montrée capable de rassembler autour d'une table toutes les forces politiques pour la préservation de l'unité de la Tunisie, sa sécurité et sa transition vers la démocratie. Aujourd'hui, il va falloir capitaliser ces avancées et ne pas rater les prochains rendez-vous. Ne pas prendre en ligne de compte cette évidence équivaut à précipiter le pays dans une zone de turbulences dont il est difficile de prévoir et l'issue et les conséquences.