Par Néjib Ouerghi La Tunisie n'en finit pas de payer le prix fort des répercussions de l'attaque, le vendredi 14 septembre, par des salafistes, de l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique à Tunis. Un prix politique, d'abord, qui a fortement ébranlé l'image de marque de la Tunisie dans le monde, son modèle de société et sa capacité à assurer la sécurité et l'inviolabilité des représentations diplomatiques qu'elle abrite. D'un pays qui a été, tout le temps, respecté par les pays frères et amis et par ses partenaires, pour sa stabilité, sa sécurité, sa diplomatie et son dynamisme économique, la Tunisie est devenue, en l'espace d'une après-midi pas tout à fait ordinaire, pointée du doigt et crainte. Tout l'édifice que le pays s'est évertué à bâtir, depuis son indépendance, s'est écroulé. Par l'incapacité des services de sécurité à éviter une catastrophe, pourtant annoncée, et par l'aveuglement des salafistes djihadistes qui n'ont eu de cesse de vouloir imposer aux Tunisiens un modèle de société qui leur est étranger. Des groupes qui représentent, avoue, enfin, Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha, «un danger non seulement pour le mouvement, mais pour les libertés publiques dans le pays et pour sa sécurité». Pourtant, plusieurs voix se sont élevées, à plusieurs reprises, pour appeler à la nécessité de faire face à ce péril qui menace les fondements de l'Etat civil, les libertés publiques, les acquis des Tunisiens, la stabilité et l'unité du pays de façon responsable et claire, en vain. Tous les incidents dont ces groupes ont été les acteurs, toutes les manœuvres d'intimidation et d'agression et toutes les violations des lois et règlements qu'ils ont commises, dans l'impunité, les ont encouragés, chaque fois, à franchir un nouveau palier à l'effet d'imposer le fait accompli. L'attaque de l'ambassade américaine n'en est qu'un aboutissement normal de tout un processus qu'on n'a pas voulu ou su arrêter ou lui trouver le bon traitement à temps. Un péril qu'on a voulu taire, occulter ou simplement en minimiser l'ampleur. La démonstration de force de ces groupes, leur parfaite organisation et leur détermination à recourir à la violence a tout mis à nu. Si les Tunisiens ont eu froid dans le dos, le gouvernement de la Troïka a subi un sévère revers qui menace la pérennité de cette coalition. Les appels lancés, pour la constitution d'un gouvernement d'union nationale, sont une traduction parfaite de l'inquiétude et de la peur qui sont en train de gagner la classe politique et même les Tunisiens ordinaires. Ensuite, la Tunisie est en train de payer un prix économique lourd : ce pays jadis sûr et site jouissant de la confiance des investisseurs, n'offre plus aucune visibilité. Le déferlement de la violence intégriste est de plus en plus pris au sérieux et considéré comme un signal inquiétant qui pourrait justifier leur migration vers d'autres destinations plus sûres et moins encombrantes. Si l'on sait que la Tunisie abrite encore quelque 2.600 entreprises off-shore qui contribuent de façon conséquente à l'effort d'emploi, d'investissement et d'exportation, l'on mesure la gravité des périls qui menacent la maison Tunisie. Dans un tel environnement délétère, peut-on réellement s'attendre à un rebond des investissements, à une plus forte création d'entreprises, à une plus grande réponse aux demandes d'emploi et à un réel développement des régions intérieures ? Une éventualité de plus en plus improbable au regard d'une conjoncture nationale et internationale difficile, de la tourmente que traverse le pays et des risques qui pèsent sur sa sécurité et son unité nationale. Même si on a tenté, vaille que vaille, de colmater les brèches provoquées par la déconvenue subie, le vendredi 14 septembre dernier, de diffuser à l'endroit de nos partenaires des messages réconfortants, d'affirmer la capacité des services de l'ordre à assurer la sécurité dans le pays, il semble encore difficile d'effacer rapidement ces images désolantes de l'attaque de l'ambassade américaine à Tunis, qui a surpris par son ampleur, son organisation et les dommages qu'elle a causés. A l'évidence, restaurer la confiance dans notre pays ne résulterait pas uniquement de discours creux ou de simples déclarations d'intention, elle suppose une action énergique, un engagement clair et des messages clairs. D'aucuns ne peuvent nier qu'aujourd'hui il est grand temps d'agir pour juguler le fléau salafiste djihadiste qui menace tout un modèle de société. Agir avant qu'il ne soit trop tard et avant que l'irréparable ne soit commis. Le risque est réel, et le pays peut facilement basculer dans une spirale de violence qui pourrait hypothéquer son unité, ses acquis et son développement. Agir suppose surtout l'application stricte de la loi, l'abandon de tout discours laxiste et de faire montre d'une volonté résolue pour préserver les intérêts du pays, son unité et sa sécurité. Il suppose, dans cette phase cruciale que nous traversons, l'unité de toutes les forces autour de ces principes partagés, une action gouvernementale efficace et l'établissement d'une feuille de route précise et consensuelle. Le 23 octobre prochain est certes un engagement moral pris par tous les protagonistes politiques pour engager le pays durablement et réellement dans un processus de transition vers la démocratie. Au-delà de la polémique qui bat son plein sur la fin de la légitimité après cette date, l'important, aujourd'hui, c'est de faire en sorte que toutes les familles politiques prennent conscience des défis auxquels notre pays est confronté et de savoir les affronter avec courage, discernement et responsabilité. Prémunir la maison Tunisie de tous les périls mérite bien la convergence de toutes les volontés, de tous les efforts et de toutes les sensibilités politiques et exige, de surcroît, un engagement clair et solennel pour donner un sens aux principes fondateurs de la Révolution de la dignité et de la liberté.