Par Néjib OUERGHI La feuille de route annoncée récemment par la Troïka est-elle réalisable ? Peut-on parvenir facilement à un consensus sur toutes les questions encore en suspens ? La nouvelle Constitution, la date du scrutin, l'entrée en activité de l'Instance supérieure indépendante des élections, l'activation effective des décrets 115 et 116... Autant de questions qui pourraient susciter frictions et désaccords au sein de l'Assemblée nationale constituante et rendraient encore plus problématiques les questions du respect des dates fixées pour les prochaines élections, de l'achèvement de l'élaboration de la nouvelle Loi fondamentale ou du choix du régime politique. Sur le plan économique, le gouvernement provisoire est en train de mettre la dernière touche au budget général de l'Etat ainsi que de la loi de finances 2013. Ce qui préoccupe le plus, à ce stade, ce sont les difficultés de la conjoncture, aux plans national et international, la fragilité des différents secteurs d'activités, qui n'ont pas réussi à retrouver le bon rythme et les tensions sociales persistantes. L'économie nationale laisse apparaître, aujourd'hui, des signes inquiétants de fatigue, en témoignent une inflation galopante, de grandes difficultés en termes de relance de la production, de l'investissement, de l'exportation et de l'amélioration du climat des affaires. A l'évidence, la tiédeur qui a marqué la célébration de la date de l'organisation de la première élection libre en Tunisie doit servir de leçon pour les constituants investis d'une responsabilité, historique et morale, de mener à bon port le processus de transition de la Tunisie vers la démocratie. Se trouvant à la croisée des chemins et faisant face à des menaces réelles pour son modèle de société, son développement, son unité et sa stabilité, notre pays mérite bien un sursaut d'orgueil de la part de toutes ses forces politiques, sa société civile et ses élites pour rendre possible ce qui semble aujourd'hui improbable. C'est par ce moyen, et ce moyen seul, qu'il sera possible de trouver des convergences constructives sur les dossiers qui divisent et de sortir le pays du doute et de l'attentisme, de plus en plus pesants. La recherche du compromis et du consensus implique pour les constituants l'élaboration d'une constitution qui soit le reflet d'une ambition partagée, d'un idéal commun et d'une volonté générale. Elle exige de ne pas céder aux querelles partisanes, ni de verser dans la compromission. Les intérêts de la Tunisie, les principes véhiculés par la révolution du 14 janvier 2011, la stabilité du pays, son unité et sa sécurité valent bien un effort et un engagement franc de la part des constituants, toutes appartenances confondues. Aller jusqu'au bout de ce rêve est vital, pour chasser le cauchemar de la violence politique qui nous hante et l'anarchie qui nous menace. Elle requiert, enfin, de gagner du temps pour donner une plus grande chance au modèle tunisien de réussir. Le pays a assez perdu du temps, de moyens et d'opportunités en se focalisant sur le superflu au détriment de l'essentiel. Aujourd'hui, il va falloir rectifier le tir, et donner le bon tempo aux travaux de l'Assemblée nationale constituante en allant plus vite, sans précipitation, et en optant pour la profondeur, non la légèreté. Sur un autre plan, l'année 2013 constituera l'amorce d'une nouvelle étape pour l'économie tunisienne. La crise dans laquelle s'est installé le secteur productif national nécessitera certainement de douloureux sacrifices, des réformes difficiles à entreprendre dans un environnement instable, des actions mieux orientées pour soutenir la croissance, l'investissement, la production et le développement des régions intérieures. Pour restaurer la confiance et donner des signaux clairs aux opérateurs nationaux et aux investisseurs étrangers, seule la vérité compte. Il serait illusoire, dans le contexte actuel, de prétendre avoir des solutions efficaces à des questions structurelles comme l'emploi, l'investissement, le développement régional, l'inflation...L'action du gouvernement gagnerait en crédibilité et en efficacité une fois oubliées, les tentations de saupoudrage et les déclarations hasardeuses qui créent plus d'inhibitions que d'espoirs. Les consultations engagées avec les régions à l'effet de trouver de meilleurs arbitrages sur les projets et programmes à entreprendre dans le cadre du budget de l'Etat n'ont-elles pas abouti à l'opposé des objectifs escomptés ? Avec les pressions, de plus en plus grandes, exercées sur le budget de l'Etat et la rareté des ressources, l'exercice périlleux de régionalisation des dotations budgétaires a été à l'origine de bien des mouvements sociaux et de mécontentement tout au long de l'année 2012. Comme les mêmes causes finissent par produire les mêmes effets, on risque de voir les régions et leurs représentants refuser ce que leur propose le projet de budget 2013. La raison est claire: le pays pourra se trouver dans l'impossibilité de répondre à toutes les demandes exprimées, faute de moyens suffisants. Dans le cas d'espèce, le langage de la vérité consiste à dire, à force d'arguments et de données, qu'il est irréel, dans la phase de transition actuelle, de trouver des solutions immédiates et efficaces à toutes les régions intérieures, oubliées du développement, de répondre à toutes les demandes additionnelles d'emploi, de remettre de l'ordre dans le secteur bancaire, productif... Même si le gouvernement provisoire s'est trouvé contraint à agir dans l'urgence, il aurait fallu faire un meilleur ciblage des programmes et des actions à entreprendre pour ne pas brouiller toutes les cartes et d'amorcer, plutôt, des avancées, aussi timides soient-elles, mais irréversibles. Tout est question d'approche.