Par Néjib Ouerghi En s'inscrivant dans la durée, la poussée inflationniste, qu'on croyait passagère, est devenue un sujet de préoccupation nationale révélant, au passage, une quasi-incapacité à lui apporter des correctifs aussi efficaces que rapides. Le taux d'inflation, qui ne cesse de grimper, pour s'établir à fin avril à 5,7% dont un pic de 8,2% pour le groupe sensible des produits alimentaires, a été un multiplicateur de la surchauffe des prix qui a grevé sérieusement la bourse du consommateur moyen. L'envolée des prix des produits alimentaires, observée notamment depuis le deuxième semestre 2011 et amplifiée en 2012, au regard de la complexité de ses sources, pose avec insistance la question lancinante du pouvoir d'achat des Tunisiens. Une question que l'Ugtt (Union générale tunisienne du travail) considère comme une condition suffisante pour l'engagement de négociations sur la révision des salaires avec le gouvernement provisoire, qui a rencontré toutes les peines du monde pour boucler son budget complémentaire pour l'année en cours. Le groupe des produits alimentaires représente, en effet, le tiers (32% selon l'INS dans son enquête sur la consommation des ménages 2005) des dépenses des Tunisiens. Toute variation brutale dans ce groupe ne peut que générer des effets pervers que ressentirait particulièrement le consommateur moyen. Tous les palliatifs proposés à ce jour pour arrêter cette spirale n'ont pas produit l'effet escompté. Ni l'importation de certains produits sensibles, à l'effet de réguler l'offre et la demande, ni les opérations de contrôle annoncées en grande pompe, ni l'encadrement des prix de certains produits et, encore moins, l'intervention massive au niveau de la Caisse générale de compensation (3.208 MD en 2012, soit 12,6% des dépenses budgétaires totales) n'ont réussi à infléchir cette tendance. Si les spécialistes mettent en avant la conjugaison de certains facteurs pour expliquer la persistance de ce phénomène qui risque de devenir structurel, il importe d'appréhender ce dossier avec clarté et sérieux pour mieux cerner son impact et sa complexité. En effet, l'inflation et le pouvoir d'achat forment un couple détonant qui, à défaut de mesures draconiennes et réfléchies, peuvent transformer l'érosion du pouvoir d'achat, dans l'actuel contexte que vit notre pays, en facteur qui risque d'exacerber davantage les tensions sociales et l'instabilité dans le pays. A cet effet, il est tout à fait loisible d'affirmer que cette inflation est nourrie partiellement d'un accroissement des coûts de production, la variation des prix mondiaux de l'énergie et des denrées alimentaires. Ce qui est encore plus sûr, c'est que cette bulle trouve sa source dans la grande perturbation des circuits de distribution, la perte d'autorité des structures en charge du contrôle économique et le détournement d'une bonne partie de la production nationale agricole vers les marchés de pays limitrophes. Aujourd'hui, prendre la mesure de la gravité de la situation implique, nécessairement, de s'attaquer aux racines du mal. A l'approche du mois saint de Ramadan, où la consommation des produits alimentaires observe son niveau le plus élevé de l'année, desserrer cette contrainte devient une question vitale. Cela suppose, assurément, une action en profondeur pour organiser de façon optimale les circuits de distribution, lutter efficacement contre les réseaux de spéculation et identifier des solutions radicales pour juguler le phénomène de détournement anarchique des produits agricoles tunisiens vers les marchés voisins. C'est par ce moyen qu'il sera possible de rompre ce cycle, de ramener le taux d'inflation à des niveaux acceptables, de préserver le pouvoir d'achat du Tunisien et de soutenir vigoureusement le secteur productif. Il va sans dire que la réalisation de cet objectif demeure possible, surtout que cette tendance haussière des prix des produits agricoles survient à un moment où le niveau de production n'enregistre pas de baisse significative. C'est par la conjugaison des efforts de tous les intervenants qu'il sera possible de remettre de l'ordre dans le marché pour l'intérêt du consommateur et de l'économie. Sur un autre registre, il y a lieu de souligner que la semaine qui s'achève nous a ramené, enfin, une lueur d'espoir. Après un marathon de deux semaines, que les constituants ont consacré à la discussion du budget et de la loi de finances complémentaire 2012, les fissures et les scissions apparues dans certains partis politiques, y compris au sein de la Troïka au pouvoir, et la crise qui a secoué plusieurs régions intérieures, voilà qu'on annonce, subitement, le 23 octobre prochain comme date butoir pour l'achèvement de la rédaction de la nouvelle Constitution et le mois de mars 2013, comme échéance éventuelle pour l'organisation des prochaines élections . Même si l'ANC ( Assemblée nationale constituante) est toujours au stade de l'élaboration du préambule, et que l'élaboration du texte fondamental risque de donner lieu à un débat houleux et long, l'établissement d'une feuille de route sur les prochaines échéances politiques permet à tout le monde d'y voir plus clair. Un signal d'une grande importance qui est susceptible de redonner confiance aux Tunisiens et au pays de retrouver ses repères. Des repères qu'il a perdus, faute de visibilité et de choix clairs et consensuels.