Par Néjib OUERGHI Le mois de septembre marque, généralement dans les démocraties, la rentrée politique, le retour de la machine économique et des élèves en classe. Paradoxalement, chez nous, l'entame de ce mois est plutôt difficile, nous plongeant un peu plus dans l'expectative et accroissant le sentiment de frustration. Sur tous ces fronts, un brouillard épais persiste, rendant toute visibilité difficile. D'abord, au niveau politique, et en attendant le retour des constituants à l'hémicycle du Bardo, les questions relatives à l'élaboration de la nouvelle Constitution, à la nature du régime politique, à la date des élections demeurent sujets à toutes les incertitudes, les polémiques et les supputations. Les divergences exprimées à propos de ces dossiers brûlants rendent tout consensus difficile, en tout cas pas impossible. Au niveau économique, également, on attend une éclaircie qui ne vient toujours pas. Le léger mieux constaté au niveau des différents indicateurs reste fragile. Que ce soit en matière d'exportations, d'investissement, de création de richesses ou d'équilibres financiers du pays, on est toujours sur une corde raide. Toute dérive mettrait le pays à rude épreuve. Enfin, des craintes sont en train de ressurgir à propos des médias publics, qui risquent de tomber dans l'escarcelle du pouvoir politique, et de la violence qu'agitent certains groupes pour imposer leur loi dans une société qui a toujours été mue par les principes de la tolérance, de la modernité et de la modération. Remettre le pays sur la bonne trajectoire dans cette période décisive suppose que toutes les parties, engagées de façon précoce dans une campagne électorale sans merci, se défassent de leur logique partisane en faisant prévaloir l'intérêt national. Cela implique, incontestablement, la recherche d'un consensus et de convergences sur tous les dossiers politiques, économiques et sociaux, qui éviteraient au pays bien des déchirements et luttes qui hypothéqueraient son avenir et son unité. Cela requiert, également, de tous les acteurs de la vie politique de chasser les vieux démons et de se garder de toute tentation d'hégémonie et de domination, qui porterait un coup fatal à l'esprit de la révolution du 14 janvier et à l'ambition de voir éclore une expérience inédite d'une démocratie qui consacrerait, véritablement, la dignité des Tunisiens et leur pleine citoyenneté. Cette logique nécessite, enfin, de mettre un terme à une lutte fratricide que ne cessent de se livrer tous les partis politiques qui, à défaut de présenter aux Tunisiens une alternative, cherchent, vaille que vaille, le pouvoir. Sur le front économique, c'est l'impératif de rebâtir la confiance qui doit plus que jamais primer. En effet, pour stimuler l'investissement, soutenir le développement des régions intérieures, créer des emplois, améliorer les conditions de vie des Tunisiens qui vivent dans la précarité, le besoin d'actions concrètes et de stratégies claires et consensuelles se fait de plus en plus sentir. La finalité étant de remettre le pays, qui fait face à une crise multiforme, en selle. Rebâtir une confiance exige, à ce stade, d'opter pour de nouvelles pistes susceptibles de favoriser un développement inclusif et durable. La mise en œuvre d'un modèle alternatif semble être la voie la mieux indiquée. Elle aurait l'avantage de mettre un terme aux tentatives de saupoudrage, d'improvisation et d'approximation qui ont jusqu'ici caractérisé les programmes et les projets initiés pour parer, dans l'urgence, au chômage des jeunes, à la pauvreté, au sous-équipement des régions intérieures et à l'aggravation de problèmes structurels qui ne peuvent pas être traités par de simples expédients. Enfin, le dossier des médias et de la liberté d'expression se pose, d'une semaine à l'autre, avec insistance et gravité. La matérialisation de ce principe, objet d'une unanimité d'apparence, divise plus que ne réunit. Aujourd'hui, des craintes légitimes sont exprimées par les journalistes, leurs structures représentatives et les associations de la société civile sur les risques qu'encourt le pays d'un retour des médias sous les ordres du pouvoir politique. À l'évidence, la Tunisie post-révolution a besoin d'une presse libre, de journalistes indépendants et de médias publics forts et critiques pour qu'elle poursuive la construction de sa démocratie dans un esprit de concorde, de cohésion et de diversité. Toute tentative d'instrumentatilisation des médias ou de leur domination ne peut qu'être improductive, voire néfaste. Dans la période de transition que nous vivons, il importe de tolérer, ne serait-ce que momentanément, les dérives plus ou moins contrôlées de la presse qui a subi, un demi-siècle durant, asservissement et manipulation. Des dérives qui ne peuvent s'expliquer que par la soif des hommes des médias d'institutionnaliser la liberté d'expression et de parole dans un pays où ces droits avaient été longtemps confisqués.