C'est l'histoire d'un petit attaquant de poche passé par le futsal avant de débarquer à Toulouse, dans l'anonymat, en 2010... et d'exploser ces dernières semaines, notamment avec les Espoirs Il y a des trains à ne pas rater, car ils ne passent qu'une fois et ne déboulent plus jamais dans votre vie. Il y a aussi des avions à ne pas manquer, pourrait ajouter Wissam Ben Yedder, auteur d'un début de saison très aérien avec Toulouse. Le vol en question date de novembre 2009, à une époque où la révélation de ce début de saison se partageait encore entre deux footballs, comme d'autres ont deux amours : le futsal et le football à onze. En route pour l'aéroport de Roissy, l'attaquant franco-tunisien doit passer, dans la voiture, un premier contrôle effectué par Tony Esteves, son coach au sein du Garges Djibson Futsal, un club du Val-d'Oise. «Tu as pris sur toi ton passeport biométrique ?», demande son entraîneur, soucieux d'anticiper tout oubli de sa part. «Oui», répond le joueur, attendu par l'équipe de France de futsal pour effectuer, à destination du Chili, un lointain déplacement garni de deux matches amicaux. Les larmes de Roissy. «Après avoir déposé Wissam, j'ai eu un coup de téléphone du chef de la délégation, poursuit Tony Esteves. Il me dit : “Wissam possède un passeport biométrique... mais tunisien. Une fois arrivé là-bas, ils vont le renvoyer tout de suite en France! Il a vu toute l'équipe partir sans lui. Il en a pleuré". Le lendemain, j'arrive à me débrouiller : à 15 heures, j'entre à la préfecture de Pontoise et j'en ressors une heure après, avec le passeport français. Et il a pu les rejoindre». Si trois années ont été soufflées par le temps depuis cette expédition sud-américaine, le joueur du TFC, qui a ajouté en ce début de semaine la Norvège sur ses carnets de voyage, goûte encore au dépaysement des matches internationaux. Et le Bleu de France ne s'est pas effacé de son quotidien, car il a donc été aimanté cet été par les Espoirs. Pour passer de l'équipe de France de futsal aux Bleuets d'Erick Mombaerts, Wissam Ben Yedder a défriché des sentiers sauvages. «Son histoire est belle, juge Pierre Jacky, patron de l'équipe de France de futsal. C'est un bon gamin, qui vient des quartiers. On lui a donné sa chance d'emblée en sélection. C'était dû à son talent, à son explosivité, à sa vitesse d'exécution et à son adresse dans les petits espaces qui, toutes proportions gardées, rappelle Lionel Messi. Il a obtenu six sélections lors du second semestre de 2009: deux face au Chili (6-6, 7-0), deux contre la Grèce (6-0, 1-1) et deux face à la Slovaquie (6-10, 3-3)». A ce moment-là, Ben Yedder est encore un cumulard, qui marie le futsal et le foot à onze, additionne les terrains de jeu et multiplie les matches. Mais, à mi-chemin de la saison 2009-10, son arrivée à Alfortville, en CFA, le pousse à élaguer son emploi du temps et à couper la branche futsal. Six mois après, ses neuf buts et ses douze passes décisives incitent Lille et Toulouse à lui tendre une longue perche pour grimper dans l'élite. Dix-huit mois de postformation. Il choisit la ville rose, mais l'atterrissage sur la planète Ligue 1 se révèle difficile. «Il était un peu jeune dans sa tête, ajoute Tony Esteves. Il n'avait pas d'hygiène de vie avant d'aller là-bas. Il y avait les bonbons, les «grecs». C'était dur, et on essayait de le réconforter». Mais il n'est guère aisé, à vingt ans, de s'arracher à son environnement pour aller s'enraciner plusieurs centaines de kilomètres plus loin, dans l'espoir de faire fleurir son talent. «Il a dû quitter son entourage pour se retrouver dans une structure plus rigide, souligne Alain Casonova, son entraîneur. Il a eu beaucoup de mal à s'y faire: il lui a fallu un an et demi pour le former aux exigences du haut niveau et de notre organisation de jeu, entre autres. On a effectué de la postformation, on l'a façonné, même si le futsal lui avait donné des bases sur le plan technique et sur la manière de se déplacer, de résister à la charge et de se sortir des duels».