Par Khaled TEBOURBI Maintenant que «le faux-véritable» écueil du 23 octobre semble définitivement franchi et que les politiciens de tous bords se remettent, tant bien que mal, à l'idée du consensus, un regard rétrospectif sur ce qu'il en a été des arts et de la culture tout au long de la première «année constituante» ne serait pas sans intérêt. Observons d'abord ceci : durant cette période, le courant traditionaliste (on allait dire religieux) qui traverse, de plus en plus, le champ politique et social n'aura pas eu de correspondant dans le domaine de la création artistique et culturelle. Dans la musique, par exemple, la chanson sentimentale, la chanson «profane» et commerciale ont vite repris le dessus. Ne parlons pas de la courte flambée du rap, du slam et de la chanson engagée. «L'essor», prédit, des musiques liturgiques et mystiques n'aura même pas eu lieu. Le théâtre, pour sa part, s'est fait plus que jamais libéral, critique et moderniste. Les arts plastiques, de même. Les artistes et les intellectuels, en ont, certes, payé, plus ou moins, «le prix». Les salafistes les ont harcelés, parfois agressés. La justice ne s'est pas privée, tantôt, de leur demander des comptes. Le gouvernement ne leur a pas toujours offert sa protection. Cela venait du «dehors», néanmoins. C'était, pour la plupart, des «incidents» «orientés», «provoqués», «politisés». En eux-mêmes, et par eux-mêmes, spécialement après le retour des libertés, nos arts et notre culture ne se seront soumis ni aux «pressions», ni n'auront cédé à «la religiosité» ambiante. Le parallèle est vrai Observons encore : le public, le large public des spectacles, en était bien loin, lui aussi. Cet été à «Carthage», à «Hammamet» et partout ailleurs où se tenaient des festivals, ce public avait empli les gradins pour savourer ses chansons coutumières, pour applaudir des humoristes oseurs, harangueurs. Mieux : dans ces foules de spectateurs réjouis, décomplexés, les «jeans» et les «tee-shirts» se mêlaient aux voiles et aux niqabs. Côte à côte les «traditionnalistes» et «les modernistes». Pas disposés en «tranchées» comme on nous montre à la constituante. Le parallèle entre peuple et public n'est sans doute pas évident, mais quand même, un rapprochement peut toujours se faire. Sur ces gradins où des Tunisiens de toutes appartenances, de modes et de styles divers, de convictions opposées regardaient, tous dans la même direction, appréciaient les mêmes choses, il y avait sûrement une Tunisie réelle à prendre en considération. Une Tunisie finalement différente de celle dont on agite «le spectre» depuis l'arrivée du gouvernement d'Ennahdha. Pas celle des «croyants» et des «mécréants». Pas celle des «islamistes» et «des rationalistes». Pas celle des «ligues révolutionnaires» et «des artisans de la redda». Mais la Tunisie ouverte, tolérante, conviviale et festive que l'on a toujours connue. Une Tunisie consensuelle et réconciliée de par sa nature, de par son histoire et sa culture. Mais une Tunisie comme occultée à dessein. Comme délibérément dissimulée sous le tumulte des passions et des convoitises politiciennes. Car, c'est bien le sentiment que l'on a aujourd'hui: nos dirigeants et nos élites s'affrontent sur des «questions de légitimité», s'opposent sur des «modèles de société», butent sur les termes d'une constitution, mobilisent partis et partisans, se dressent les uns contre les autres, parlent, tour à tour, de «discorde» et de «consensus», alors que, foncièrement, dans les faits au concret, le pays n'en a nul besoin. Le sentiment est que les «cassures» et les «fractures», «les oppositions» et les «confrontations» ne servent en fin de compte qu'à justifier les ambitions de pouvoir de ces élites et de ces dirigeants. S'il devait y avoir accord, ce serait autour de cette unique et désolante vérité.