Dimanche, 12h 30, sous un soleil de plomb, comme on n'en connaît qu'à cette saison automnale quand elle joue les prolongations estivales, le Parc des expositions du Kram, vu de l'extérieur, ressemble à une ruche d'abeilles. Femmes, hommes et enfants se meuvent en groupes serrés; les uns entrent, les autres sortent, d'autres, chargés de leurs sacs en plastique remplis de livres neufs, sont affairés sur les bancs en pierre pour prendre du repos et casser la croûte, après une longue tournée entre les stands de la foire du livre. La gent salafiste, reconnaissable à ses accoutrements, qamis et niqab, est venue nombreuse, avec femmes et enfants. Des bus relevant des structures de transport régional sont parqués devant le grand portail, au milieu de centaines de véhicules envahissant les parkings et les trottoirs et de nombreux vendeurs ambulants de « pop-corn», de « kaki », de cigarettes et de boissons. L'un des engins vient de Médenine, avec à bord que des hommes en tenue afghane. D'autres transportent des lycéens dans le cadre d'excursions organisées par des structures publiques relevant du ministère de la Culture notamment. A l'intérieur, dans la grande cour du Parc, aux côtés de deux blindés de l'armée campés à proximité de l'entrée principale du bâtiment, une immense tente nomade attire la foule. A l'intérieur, dans une ambiance humide et étouffante, six femmes rurales assises par terre autour de grands poêles s'activent à la préparation et la cuisson de la « Mtabga», une galette fourrée de « chakchouka », spécialité culinaire très appréciée venant du Sud, en l'occurrence de Sidi Bouzid ; la septième femme s'occupe à servir les clients impatients et à encaisser 1,D500 la pièce. Un zeste de politique A la 29e édition de la Foire internationale du livre, premier rendez-vous du genre « sans censure », les surprises sont, en effet, au goût du jour. La politique s'y est même invitée. A l'entrée du grand hall d'accueil, à gauche, un stand porte un écriteau très significatif: « Campagne nationale contre la normalisation avec Israël ». L'initiative consiste à collecter le maximum de signatures auprès des visiteurs conquis à la cause palestinienne. « C'est un devoir pour tout musulman digne de ce nom », lance ce père de famille, accompagné de sa femme et de ses enfants. Les stands proposant des collections variées de «masahef»et de livres à contenu religieux attirent le plus de visiteurs, intéressés, « cette fois-ci, nous avons l'embarras du choix en titres et en auteurs notoires et les prix sont abordables», affirme une jeune dame. Viennent ensuite les stands vendant les livres scolaires du primaire jusqu'à la 9e année de l'école de base et de larges gammes de parascolaires... Cette fois, la foule est jeune et majoritairement féminine. Amira, une jeune adolescente rafle les étalages. « Je suis en 9e, j'ai un concours à passer cette année et je trouve ici une large gamme de parascolaires et de romans intéressants », confie-t-elle, regrettant par ailleurs le fait que beaucoup de ses camarades et amis ne pourront pas visiter la foire du livre à cause d'un emploi du temps chargé. « Il faut penser à organiser cette foire pendant les vacances scolaires et universitaires pour permettre aux adolescents et aux étudiants de venir plus nombreux », propose-t-elle. Contes pour enfants et kamishibai Dans une des zones réservées aux ateliers, l'espace lecture pour enfants rompt avec le reste du décor. Agrémentée d'un mobilier multicolore, rose, vert, jaune et bleu, au design particulier rappelant des formes d' animaux et d'autres de fleurs, la grande salle offre aux petits visiteurs de 2 à 6 ans une riche bibliothèque de contes et de bandes dessinées. Ici, les trois animatrices lisent des contes pour les enfants qui sont ensuite invités à les traduire en dessins et à les jouer selon la méthode japonaise : le kamishibai, (jeu d'ombres et de mime derrière des plaques en carton) avec l'assistance de l'une des animatrices. Mme Jamila Maïz, écrivain pour enfants, bibliothécaire et enseignante, est la responsable de cet espace aménagé par l'administration de la lecture publique relevant du ministère de la Culture. Directrice d'une bibliothèque publique à Ben Arous, où a été créé le premier festival de l'enfant, Mme Maïz est habituée à ce genre de manifestation et connaît bien les tendances des petits en matière de lecture. « Les enfants qui habitent les zones rurales lisent plus que ceux qui vivent dans les villes; d'ailleurs, ils sont aussi meilleurs en rédaction et en création littéraire (essais, romans et poésie)», explique la bibliothécaire. Zaïneb Hamed est conteuse et diseuse de proverbes traditionnels. Institutrice à la retraite et écrivain pour enfants, elle a été conviée (dimanche) pour raconter «Khalti Rbahi », un conte écrit par trois femmes dans un genre nouveau, plus accessible à l'enfant. « Le texte est écrit dans un langage proche à la fois du dialectal et du littéraire, un langage correct que l'enfant peut facilement comprendre car il ne provoque pas de rupture entre le monde des livres et le milieu dans lequel vit l'enfant », explique Mme Hamed. L'espace lecture pour enfants prévoit d'organiser d'autres ateliers cette semaine, dans le cadre de la foire du livre, et ce, mardi, mercredi, jeudi et vendredi. La conteuse professionnelle regrette tout de même que l'on n'ait programmé qu'une seule conférence qui s'intéresse aux jeunes et à la lecture, dans le cadre de cette nouvelle édition de la foire. A la fin de la visite, une question reste, en effet, en suspens : suffit-il d'une foire annuelle du livre pour lutter contre la désertion de la lecture surtout par les jeunes ? Certes, non. Tant que toutes les énergies, les investissements et les stratégies de marketing se focaliseront sur la promotion à large échelle des innovations informatiques et des capacités illimitées du web, le livre et la lecture auront du mal à se faire une place dans la vie des jeunes, surtout des ados.