Fadhel Moussa, constituant d'«El Kotla El Democratiya» : « Il est nécessaire que l'Isie soit totalement indépendante du gouvernement » Quelle est votre appréciation du projet de texte de loi portant création de l'Isie? D'une manière générale, il est acceptable si on y introduit quelques modifications. Les points contestés portent sur la façon de la représentation des membres de la commission. Certains estiment qu'il serait plus judicieux que les candidatures soient présentées par corporations (avocats, experts-comptables, universitaires, etc). Les 27 candidats seront retenus par une commission représentant tous les groupes parlementaires (Koutal) et selon des critères bien précis aux 3/4 des voix. Les membres de l'Isie seront élus par l'Assemblée constituante, chaque député élisant 9 candidats parmi les 27 présentés à la majorité des 2/3. Il est nécessaire que l'Isie soit totalement indépendante du gouvernement. Le point concernant les statuts des membres de l'Isie sera discuté, car le président de l'Instance et ses membres auront une masse importante de travail à fournir et leurs salaires ne peuvent être indexés sur celui d'un fonctionnaire de l'Etat, surtout s'ils viennent d'une profession libérale. Au niveau de l'organisation administrative, le président doit être choisi parmi ses pairs et ne peut être nommé d'office. Certains préfèreraient procéder par consensus, or ce que l'on souhaite c'est d'être loin de tout esprit partisan. D'autre part, il est nécessaire de créer des commissions régionales et ne pas laisser le choix des candidats à la bonne volonté de la commission principale. Cela dans un but de décentralisation pour l'élection des instances régionales indépendantes des élections (Irie). Quant au directeur exécutif, il sera élu à la majorité des 2/3. Samir Taïeb, constituant d'«Al Massar» : «Le projet de texte de l'Isie souffre d'un manque de mécanismes de transparence» Que pensez-vous des clauses portant sur le choix du président de l'Isie ? Je ne vois pas comment la formule adoptée par la commission, soit l'élection de 9 candidats sur les 27 présentés, garantirait l'option du choix par la Troïka de Kamel Jendoubi en tant que président de l'Isie. Paradoxalement, le choix de la commission législative où Ennahdha est majoritaire est un coup de frein à l'intronisation de Kamel Jendoubi comme président de l'Isie. J'aurais préféré qu'il y ait deux votes : un pour l'élection du président de l'Isie et un autre pour l'élection des membres de l'Isie. Que pensez-vous maintenant de la clause sur le choix des membres de l'Isie ? L'exclusion de l'huissier-notaire dans le projet de texte actuel qui prévoit seulement la présence d'un juge judiciaire et d'un juge administratif n'est pas judicieuse. Il aurait fallu, d'autre part, la présence d'un juge financier de la Cour des comptes afin d'examiner et de contrôler le budget de l'Isie et des campagnes électorales. Concernant les spécialités des membres de l'Isie, le projet de texte n'est pas précis. Il aurait fallu indiquer en ce qui concerne les universitaires par exemple qu'ils doivent être des spécialistes en droit public. Que veut dire, par ailleurs, un représentant de l'étranger et de la société civile ? Ce ne sont pas là des spécialités. Il aurait fallu les préciser. Je considère, enfin, que le choix de neuf membres composant l'Isie est insuffisant, étant donné l'importance de la tâche qui leur incombe. A mon avis, on aurait dû choisir onze membres. Ce qui aurait permis d'ajouter un magistrat de la Cour des comptes et un représentant des huissiers-notaires qui figurait dans l'ancienne Isie et qui a été écarté dans le projet de texte actuel. Ce que je crains, maintenant, c'est le blocage au niveau du choix des 27 candidats à la majorité des 3/4 par la commission législative. C'est pourquoi j'aurais préféré que la commission législative n'ait pas été constituée à la proportionnelle mais par un membre pour chaque groupe parlementaire. Cela nous aurait épargné tout blocage. Selon vous, l'Isie doit-elle être totalement indépendante ou rattachée au gouvernement ? Bien sûr, il faut que l'Isie soit totalement indépendante. Le chef de l'Isie doit s'adresser directement au chef du gouvernement. L'Isie doit disposer d'un pouvoir réglementaire spécial en matière électorale. Et il faudrait insister sur tout ce dont l'Isie a besoin pour l'exercice de ses prérogatives. Selon-vous, qui doit désigner le directeur exécutif de l'Isie ? Le directeur exécutif doit être désigné par les membres élus de l'Isie et doit être sous l'autorité du président et de ses membres. Ils sont ses supérieurs hiérarchiques. Il ne faudrait pas que la direction exécutive se transforme en une administration mastodonte dont le pouvoir serait plus important que celui du président. Avez-vous d'autres points à soulever concernant le texte de projet de l'Isie ? Le projet souffre d'un manque de mécanismes de transparence en ce sens que la proclamation des résultats du vote doit être faite systématiquement, bureau de vote par bureau de vote, et les résultats affichés instantanément sur les sites de l'Isie. Cela afin de permettre aux partis de contrôler les résultats des élections et de présenter leur requête au Tribunal administratif en cas de litige. Or, ce mécanisme manque et il faudrait le prévoir pour des élections réellement libres et transparentes. Propos recueillis par Samira DAMI Mokhtar Trifi, président d'honneur de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme : L'administration publique doit être mise sous les ordres de l'Isie La disposition contenue dans l'article 22 relative au rôle des services de la présidence du gouvernement pour faciliter la coopération entre l'Isie et les administrations publiques pourrait-elle entraver l'action de l'Isie ? Je pense que tout dépendra de la volonté du gouvernement de faciliter le travail qui sera entrepris par l'Isie ou de lui dresser les obstacles de tous bords. A mon avis, il faut que l'article 22 mentionne clairement que les services de la présidence du gouvernement s'engagent et non veillent à faciliter la coopération des administrations publiques avec l'Isie. D'autre part, tous les services de l'administration à l'échelle nationale, régionale ou locale doivent être mis à la disposition de l'Isie et ont le devoir de répondre à ses demandes ou sollicitations. Quant au gouvernement, il est appelé à veiller au suivi de l'exécution de ces demandes. Au cas où l'article ne serait pas révisé, l'on peut se demander ce que l'Isie est en mesure de faire contre un agent de l'administration qui refuserait de répondre à n'importe quelle demande qu'elle formulerait. Pour moi, il est impérieux que cet article soit amendé, sinon toute l'action de l'Instance des élections sera sérieusement menacée. Quant à l'instauration du poste de directeur exécutif, je pense qu'elle est nécessaire à condition que ce même directeur exerce sous les ordres du président de l'Isie et des membres de son conseil et que son rôle se limite à l'exécution des directives. Malheureusement, d'après le texte du projet de loi, il apparaît que de larges attributions lui seront accordées, de manière à ce qu'il constituera une autorité parallèle à celle du président de l'Isie. De plus, le texte autorise le président de l'Isie à déléguer certaines de ses prérogatives au directeur exécutif. Je pense qu'une telle clause est inacceptable puisque le président de l'Isie doit déléguer ses pouvoirs au secrétaire général de l'Isie ou à l'un des membres du fait qu'ils sont élus et non à un cadre administratif recruté par le Conseil de l'Instance comme le mentionne l'article 25 du projet de loi. A.D.