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L'article premier : dans le labyrinthe d'un texte kafkaïen
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 07 - 11 - 2012


Par Amin BEN KHALED(*)
Dans son article «Devant la loi» publié en 1915 – et qui sera intégré plus tard dans le «Le Procès» – F. Kafka raconte l'histoire d'un homme qui vient frapper à la porte de la « Loi » voulant ainsi y pénétrer et découvrir son sens. Inutile de raconter la suite pour ceux qui connaissent le fantastique kafkaïen : tout au long du récit, l'homme essaye de saisir inlassablement la «Loi», mais cette dernière demeure fuyante et insaisissable...
L'article premier de la «défunte» constitution tunisienne, ce texte qui déclarait solennellement que «la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain: sa religion est l'Islam, sa langue l'arabe et son régime la République », est à lui seul un condensé de paradoxes. En réalité, on n'est nullement en présence d'un texte juridique simple et obvie, mais plutôt en face de l'un des textes juridiques les plus gnostiques que le législateur tunisien ait pu compiler; texte qui déroute tous ceux qui – comme le personnage de Kafka – ressentent le malin et angoissant besoin d'invoquer l'esprit des lois. Car entrer de plain-pied dans l'édifice de l'article premier, c'est entamer une véritable aventure kafkaïenne qui conduira le lecteur, et à sa grande surprise, dans des dimensions déroutantes et paradoxales qui abuseront du sens commun des choses. Ainsi, il va être question de jeter quelques brefs éclairages, ici et là, afin d'attirer les regards sur une « texture juridique » qui semble linéaire et acquise mais qui s'avère, au fil des investigations, labyrinthique et nébuleuse.
Un article suspendu et en vigueur
La raison juridique ne conçoit pas de «demeure entre les deux demeures», car en droit, la vision des choses est souvent binaire. La chose est ou elle ne l'est pas. Ainsi, en matière législative, un texte juridique est soit posé par le législateur et donc il est en vigueur ; soit suspendu ou abrogé et par conséquent, il est inopérant. Premier paradoxe : l'article premier échappe à cette logique élémentaire, car il se trouve qu'il est à la fois suspendu et... en vigueur. Comment est-ce possible ? Voyons de près.
D'une part, et sur le plan juridique, la constitution de 1959 n'est plus opérationnelle et ce, depuis le décret-loi n°14 du 23 mars 2011 relatif à l'organisation temporaire des pouvoirs publics. En effet, ledit décret-loi, déclare solennellement que la révolution du 14 janvier 2011 exige une nouvelle constitution. De ce fait, et en attendant la naissance de la prochaine constitution, les pouvoirs publics provisoires considèrent que la constitution de 1959 n'est plus en vigueur. Par conséquent, tous les articles qui figuraient dans l'ancienne constitution – y compris le premier d'entre eux – ne sont plus aussi en vigueur.
Cependant et d'autre part, l'Etat tunisien considère que l'article premier demeure toujours en vigueur. Comme en témoigne la levée des réserves faite par le gouvernement tunisien l'année dernière, portant ratification de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (Cedaw) et dans laquelle il (c'est-à-dire le gouvernement tunisien) maintient toutefois la déclaration générale selon laquelle aucune décision réglementaire ou législative ne sera prise si elle s'avère non conforme à l'article premier de la constitution de 1959. Comment cela est-ce possible alors que la constitution, et donc son article premier, ne sont plus en vigueur ? Ajoutons à cela le fait que cette confusion se manifeste, outre dans le domaine juridique, aussi bien au niveau politique que social. Car pour les hommes politiques et surtout pour une grande partie du peuple tunisien, si la constitution de 1959 constitue un vieux souvenir, l'article premier demeure, lui, très présent. Nous sommes désormais en présence d'un article rebelle à toute logique, un texte qui comme le chat de Schrödinger, « existe » mais « n'existe pas », de quoi faire retourner Parménide dans sa tombe...
Un texte qui libère et qui renferme
Une lecture rapide de l'article premier suffit de constater qu'il scande des notions comme celles de liberté, d'indépendance ou de souveraineté. En réalité, il s'agit de notions juridiques classiques, assez communes, qui trouvent une bonne place dans la quasi-totalité des constitutions du monde. Mais si on regarde l'article de près, d'un regard vraiment attentif, une question finit par surgir: en fait, de quoi parle-t-il ? De la Tunisie ? ... Ou de l'Etat ?
Cette question qui semble rhétoricienne, met le doigt sur une problématique malheureusement peu abordée aujourd'hui dans les débats politiques. En effet, l'article premier annonce que « La Tunisie est un Etat...». Or, cette proposition qui semble aller de soi, cristallise une forme de correspondance absolue entre la Tunisie et l'Etat tunisien. Elle laisse entendre que la Tunisie est réduite à l'Etat, alors qu'elle est composée aussi d'une société civile et de citoyens et qui sont aujourd'hui des acteurs incontournables pour faire réussir la transition démocratique. Ainsi, à voir de près, cette vision réductrice (Tunisie = Etat et inversement) représentait la quintessence même de la vision bourguibienne des choses. Car dès l'indépendance Bourguiba a voulu – et a réussi à – dresser l'Etat comme étant l'unique structure chargée de fixer la voie à suivre pour les Tunisiens, et ce, sur le plan politique, économique, social et culturel. Aussi, de toute évidence, l'article premier était dans l'esprit de Bourguiba un texte juridique de premier ordre scellant en quelque sorte le destin de la Tunisie à celui de l'Etat. On pourra même dire – et ce sont les discussions au sein de la Constituante de 1956 qui le prouvent – que le souci majeur des rédacteurs de cet article était surtout et avant tout comment légitimer et fortifier un Etat à même de prendre en main le destin de la Tunisie.
Cette vision holiste de l'Etat, fort compréhensible à l'époque, est non seulement dépassée aujourd'hui, mais elle constitue à la limite un danger. Vision dépassée tout d'abord, parce que l'Etat n'est plus l'unique acteur dont dépend le destin du pays. Il y a aussi, comme on vient de le dire plus haut, d'autres acteurs fondamentaux – de plus en plus consacrés par la pensée politique actuelle – à savoir la société et l'individu, et qui sont avec l'Etat, des éléments incontournables qui composent (et qui doivent composer) la Tunisie de l'après 14 janvier. Vision dangereuse ensuite, parce que réduire la Tunisie à la machine étatique ne fera que consacrer l'hégémonie de cette dernière sur la Tunisie, hégémonie qui a été mise en pratique par Bourguiba et qui a été poussée à son paroxysme dans le système Ben Ali ; hégémonie qui s'est traduite au fil des décennies par une véritable Trinité dans laquelle la Tunisie, l'Etat et son chef étaient des «êtres» consubstantiels et sacrés.
En conséquence, si l'article premier constitue en quelque sorte l'acte de naissance qui affranchit la Tunisie de toute forme «d'hégémonisme» (liberté, indépendance, souveraineté), il la met tout de même sous «la tutelle» de l'Etat. Il conviendrait donc que les débats s'intéressent, dès aujourd'hui et de toute urgence, à cette problématique. N'est-il pas plus simple et plus prudent de dire que «la Tunisie est une République» ? «La chose publique» n'est-elle pas devenue aussi l'affaire de la société civile et du citoyen ?
Un texte clair et occultant
Il est remarquable de constater que dans l'inconscient collectif tunisien, l'article premier renvoie directement à la question identitaire de la Tunisie et à son caractère « arabo-musulman ». Le citoyen tunisien et l'immense majorité de la classe politique réduisent la version originelle et constitutionnelle de l'article à une version saccadée et, disons-le, populaire. Ainsi, pour le politicien – et pour le Tunisien tout court – l'article premier se résume en quelques mots, les voici : «La Tunisie est un Etat. Sa religion est l'Islam, [et] sa langue [est] l'arabe».
En réalité, une lecture authentique de l'article premier, tel qu'écrit dans la Constitution de 1959, permet de constater que ce texte met aussi l'accent sur d'autres notions caractéristiques de la Tunisie et de son Etat, notamment sur le caractère républicain. Or, même si la question républicaine fait absolument partie de l'article premier, l'impératif républicain demeure quant à lui occulté par la question identitaire dans les débats politiques (et même dans les débats privés) consacrés à l'article en question. Cette cécité générale qui frappe subitement l'immense majorité de ceux qui abordent ce texte, est mise à profit par certaines tendances politiques qui trouvent dans cette lecture, ou plutôt dans cette non-lecture de l'article premier, une véritable aubaine pour faire avancer subtilement leurs prétentions idéologiques.
En effet, il existe aujourd'hui sur l'échiquier politique tunisien un nombre non négligeable de partis qui pensent subrepticement mais non moins sérieusement que l'idée (occidentale et bourgeoise) de république est contraire à l'esprit profond de la révolution tunisienne. Ces groupes politiques se divisent en deux. Il y a ceux qui pensent qu'il faudra, tôt ou tard, s'investir dans des projets communautaires et régionaux basées sur l'identité linguistique, en l'occurrence la langue arabe; et il y a ceux qui veulent dissoudre, à moyen et long terme, l'Etat dans une structure supra-étatique à vocation transfrontalière guidée par les préceptes de l'Islam. Pour ces deux tendances, l'article premier est intouchable, non pas parce qu'il protège l'acquis républicain, loin de là, mais plutôt parce qu'il sacralise indirectement des idéologies qui se réclament d'une certaine vision de l'arabité ou d'une certaine lecture de l'Islam.
Au final, on pourra dire que nous sommes en présence de deux articles premiers. Le premier, c'est la copie originale, un peu oubliée et qui se trouve dans les armoires des bibliothèques de droit. C'est la version juridique originelle et qui constitue en quelque sorte une synthèse assez équilibrée de l'impératif républicain et de l'impératif identitaire. Le second habite l'inconscient collectif. C'est l'article qui sacralise le caractère arabo-musulman de la Tunisie en occultant une autre exigence non moins sacrée, à savoir : l'idée de République.
Un texte à mi-chemin entre la théocratie et la sécularisation
Plus qu'un édifice, l'article premier s'avère être un immense carrefour névralgique autour duquel tourbillonne une foule de partis politiques. Le texte semble ainsi faire l'affaire de tout le monde. Les «conformistes» trouvent dans ce «texte-carrefour» l'assurance d'un chemin menant à une véritable identité «arabo-musulmane» et les «modernistes» sont apaisés de voir se profiler à l'horizon le projet d'une religion modérée par l'Etat. L'article premier est par conséquent un texte équivoque et à multiples facettes; texte ayant surtout l'incroyable capacité de rassurer plusieurs discours idéologiques contradictoires qui trouvent en lui le son de cloche désiré. Mais est-ce une bonne chose ? Sans doute répondront certains; car tel texte ne concrétise-t-il pas une forme de concorde inespérée entre les diverses tendances politiques et idéologiques ?
L'unanimité autour de l'article premier est en réalité une unanimité apparente et passagère, donc trompeuse. Apparente, parce qu'il s'agit d'une entente autour d'une formule littéraire et visible mais qui cache une réelle discorde quant à son application concrète et pragmatique. Passagère ensuite, parce qu'il adviendra un jour que tout ce beau monde, qui tourbillonne jusque-là autour de ce «texte-carrefour», choisisse une voie unique à suivre. Plus concrètement, il faudra que les élus de la Constituante se mettent d'accord sur une lecture unique de l'article premier, afin d'éviter une équivocité constitutionnelle et une déchirure sémantique qui fragiliseront les bases de toute construction démocratique.
Car il se trouve que l'article premier mène vers deux mondes parallèles, totalement différents et parfaitement séparés. Il mène vers deux Tunisie. La première Tunisie est celle dans laquelle l'Islam est religion de l'Etat au sens fort du terme. Ainsi, dans une Constituante majoritairement «conservatrice», l'article premier sera l'argument juridique et constitutionnel pour l'application de la charia (c'est-à-dire la loi islamique), tous azimuts, puisque certains élus de la Constituante diront que si la religion de l'Etat est l'Islam, cela voudra dire de toute évidence que l'Etat devra appliquer les préceptes de l'Islam. Plus tard et dans le même ordre d'idées, un juge conservateur – qu'il soit constitutionnel ou de droit commun – ne trouvera aucune objection à ce que la loi islamique soit appliquée avec rigueur et d'une manière littérale puisque la constitution – fruit de la volonté générale et de la transition démocratique – l'autorise expressément. Inutile de dire qu'avec cette première Tunisie on entre de plain-pied dans l'antichambre d'un régime théocratique. Quant à la seconde Tunisie (et la moins probable pour l'instant), c'est celle des élus «modernistes», mais minoritaires qui verront dans l'article premier, non pas une confiscation de l'Islam au profit de l'Etat, mais plutôt une atténuation du zèle religieux de certains par le biais d'une interprétation rationnelle, moderne, modérée et, somme toute, flegme de l'Islam. Cette Tunisie-là, c'est la Tunisie pré-laïque. C'est la Tunisie qui fixe les limites entre le religieux et le politique, préparant par là le terrain, à moyen et long terme, à la sécularisation.
Au final, l'article premier est loin de pouvoir faire la synthèse des impératifs fondamentaux qui le motivent. Au contraire, il maintient les différentes antinomies sans pouvoir les subsumer une fois pour toutes. Il cristallise ainsi une dichotomie politique, sociale et culturelle profonde qui se manifestera dans la prochaine constitution. Autant dire que le texte constitutionnel censé rassurer le citoyen emprisonnera les générations futures dans un véritable labyrinthe kafkaïen.
*(Avocat)


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