Sept ans après, Atef Ben Hassine revoit ses cartes et les redistribue. Avec Nicotine, dont la première a été donnée jeudi dernier à la salle Le 4e art, il semble revenir sur un passé pas si lointain que ça, se rafraîchir la mémoire et celle de ceux qui sont venus voir son œuvre. Nicotine n'est autre qu'une copie revisitée de sa précédente pièce Etat civil. C'était sa première mise en scène. Etat civil, comme son nom l'indique, est un questionnement sur le statut du comédien et sa citoyenneté. Qu'en est-il de Nicotine 7 ans après ? Sur l'affiche est mentionné que «cette pièce est destinée au Tunisien qui pense et qui se souvient». De par cette citation, Atef semble dire que cette nouvelle création ne peut être appréhendée que par le public qui avait déjà assisté à la première version. Il se peut aussi qu'à travers cette pièce il voudrait retrouver l'état d'esprit et cette complicité qui prévalaient chez cette bande d'artistes à El Teatro, en l'occurrence Foued Litayem, Monoôm Chouayet et Chekra Rammeh... Tous ont évolué depuis, et chacun a tracé sa trajectoire entre fiction télévisée, cinéma, enseignement et vie de famille. Et les voilà qu'ils se retrouvent, sept ans après, autour d'un bon souvenir de scène. Autour d'un projet qui les a réunis et qu'ils avaient, paraît-il, tous envie de remettre sur le tapis. C'est quoi alors Nicotine et que vient-elle ajouter à l'expérience d'il y a quelques années ? Inutile de faire une analyse comparative entre les deux œuvres, mais certains points doivent être soulevés. L'action se déroule dans les loges d'un théâtre, ces coulisses dans lesquelles les comédiens passent la majorité de leur temps avant d'entrer sur scène pour répéter ou donner une représentation. C'est dans cette retraite-là, un espace entre la fiction et la réalité, que les comédiens commencent à titiller leurs personnages, à se créer d'autres peaux. C'est dans cet espace où l'on se maquille, où l'on se transforme, un lieu d'une extrême intimité que les comédiens s'éloignent de leur état civil et se confondent dans leurs personnages. Mais avant tout cela, ces comédiens sont des personnes qui vivent la société avec leurs émotions, leurs convictions, leurs contradictions qui façonnent leurs identités, soit leurs états civils... Voilà le trait d'union entre Etat civil et Nicotine. Mais qu'apporte Nicotine de nouveau à l'ancienne version ? Entre les deux versions, les distances sont énormes, les codes et les signes ne sont plus les mêmes. Entre la première et la deuxième, tout l'univers extérieur a totalement changé. La première était sous la dictature et la censure, la seconde est bien installée dans l'ère de la liberté d'expression, dans le «totalement politique». Ceci est une donnée objective qui ne peut être négligée. Car au niveau des propos et du discours, Etat civil essayait de passer entre les lignes, avec des sous-entendus, usant du tacite et de la parabole, pour passer le message. Cependant, compter sur l'intelligence du public pour décoder le message n'est plus à l'ordre du jour dans Nicotine où les propos sont directs, les critiques sont crues et le discours est clairement politique. C'est une démarche que Atef Ben Hassine et ses collègues assument parfaitement, nous avons tous besoin de respirer un air de liberté de ton et de laisser libre cours à toutes les envolées «critiques», de s'attaquer aux politiques, de caricaturer les décideurs, en somme d'exercer sa citoyenneté et de dire ce que l'on pense. Mais Nicotine a perdu, en cours de route, ce souffle du théâtre contestataire qui la caractérisait, l'approche esthétique et la construction en filigrane d'un propos existentiel qui transparaissait dans l'ancienne version. En fin de compte, que retenir de Nicotine? Certainement une belle énergie de comédiens et du talent à revendre de ce trio qu'on voit de moins en moins sur scène : Chekra Rammeh, Monoôm Chouayet et Foued Litayem. Et une envie de retrouver ses marques et de revenir sur ses pas, en espérant retrouver quelque chose qu'on a perdu en cours de route. Nicotine est une version light d'Etat civil, une version plus politique où plutôt politisée en ces temps où la dérision du politique et du pouvoir est devenue un acte banal. Toujours est-il que nous étions face à une œuvre qui voulait marquer un moment dans l'histoire, se rafraîchir la mémoire et celle de ceux qui la regardent, du temps où le verbe était un crime et que certains arrivaient, malgré la chappe de plomb, à produire un discours et à construire une image théâtrale qui est restée dans les mémoires. Etat civil vs Nicotine, deux faces d'une même pièce... de monnaie, sauf que les temps ont changé et les esprits aussi.