«Nous voilà prêts pour être heureux. Nous avons rénové fauteuils et tapis de salle, pensé à tout ce qui nous enchanterait durant cette saison : rencontres artistiques, expositions, représentations de théâtre, danse et musique, conférences, débats, ateliers... Tout cela, à contretemps de la «dépression» nationale. A contretemps de l'interruption de toute relation avec le ministère de la Culture dont les raisons obscures ne sont connues que par les syndicats artistiques. A contretemps des artistes hautains, aux fonds de commerce seulement commerciaux. A contretemps des doigts accusateurs que seul l'élitisme est notre souci. A contretemps de l'opinion publique perdue dans son coma permanent. A contretemps de ce public provisoire qui a égaré sa poésie et sa légitimité. A contretemps de ce pays s'assoupissant dans ses poubelles décennales. Nous voilà prêts pour être heureux. Et à contretemps de cette atmosphère comique tentaculaire et non transcendante, nous restons en harmonie avec nous-mêmes et ... nous sommes prêts pour être heureux». Voilà comment entame l'équipe d'El Teatro sa 26e saison, et voilà dans quel état d'esprit ils sont toujours aussi déterminés, toujours aussi ironiques. «Etre noir-e dans la verte», un titre énigmatique pour un évènement qui se poursuivra jusqu'au 20 de ce mois. Une rencontre artistique avec du théâtre, de la musique, des conférences, des ateliers et des expositions, pour la promotion de la culture de l'égalité et du respect des droits humains, autour de la minorité noire en Tunisie. Autour de l'acceptation de l'autre ! «L'idée, ou la prise de conscience, est venue lors du congrès de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), il y a quelques années, quand on a lancé un cri de détresse contre l'explosion soudaine de propos racistes dont une infirmière n'a jamais soupçonné la violence auparavant, et ce, tout au long de ses 38 ans de vie et de ses 15 années de métier», explique Zeïneb Farhat, directrice d'El Teatro. Et d'ajouter : «Ce cri m'avait profondément secouée et j'avais promis de porter, comme d'habitude, les messages et thèmes de mon association sur le champ des arts». Et voilà que quelques années après, «Etre Noir-e dans la verte » a pris forme. «Avec des amis du monde des arts, de la recherche et des associations, je ne fais que soulever le couvercle des préjugés racistes et raciaux. Je ne suis qu'une locomotive pour installer cette problématique et pour prendre à bras le corps des histoires de cette minorité de la Tunisie », explique-t-elle. Ces rencontres épouseront plusieurs formes, d'abord celle d'une création théâtrale «Cherche Saâdia désespérément», une mise en scène de Naoufel Azara et qui constitue un travail qui revisite le mythe de Bou Saâdia. On raconte qu'un roi africain a vu sa fille adorée Saâdia, enlevée par des négriers. Fou de douleur, il abandonne tout : royaume, famille, biens, et il part à la recherche de sa petite bien-aimée, errant là et ailleurs, dansant et chantant les chansons qu'elle aimait tant, avec l'espoir de la voir apparaître sur le son de sa voix et de sa musique. Parallèlement, dans les montagnes du Caucase, en 1912, une fillette fut vendue par ses parents à une « négrière blanche » pour se retrouver, des années plus tard, la dernière Beya de Tunis et devenir Lella Kmar, l'épouse successive des trois derniers Beys du Royaume de Tunis. Ce spectacle qui sera présenté les 13-14-18-19-20 octobre et sera précédé d'une installation dramatique «Berka'rt», ou la mémoire du marché des esclaves. En ces temps-là, en effet, étaient reconnues «marchandises précieuses» le sel, l'or, le poivre noir, le safran, les encens, et les esclaves, qu'ils soient hommes ou femmes, blonds ou noirs, qui n'étaient que marchandises faisant partie du butin de guerre ou des razzias, ou tout simplement achetés! Cette atmosphère de Souk, ou marché d'El Berka, sera rendue par une installation plastique, en déambulation entre humains et objets ! Conférences et ateliers Côté conférences, El Teatro organise une séance spéciale intitulée «Dignité et différences», afin de mettre en avant des associations et des groupes informels qui militent pour la dignité des citoyennes et citoyens et de présenter leurs actions et programmes. La seconde rencontre, «L'Histoire et les statuts de la minorité noire de la Tunisie et du Maghreb», sera abordée sur deux volets : le premier, anthropologique et historique, avec la participation de Salah Trabelsi, Amel Fargi, Inès Daly Mrad et Abdelhamid Larguech; et le deuxième, juridique, animé par Sana Ben Achour et qui aura pour intitulé «Raison d'Etat et lois de minorités». Deux autres ateliers porteront également sur cette thématique du racisme. Il s'agit d'abord de «Black and White», un atelier sous forme de confrontation de ring vocabulaire où des participants, blancs et noirs, se jettent à la figure les «mots qui blessent » et les «épitaphes qui fâchent», une sorte de thérapie de groupe en termes d'extériorisation conciliatrice, non violente. Ce va-et-vient sera rédigé et finira sous forme de beaux feuillets calligraphiés et accrochés sur un fil à linge qui traversera la Galerie. Ils seront édités et (ou) conservés comme « le guide du parfait raciste ! » par l'artiste calligraphe Yasser Jradi. Le second atelier portera le titre romantique de « Quand Aimer me plaît et déplaît aux Autres» et réunira des témoignages de femmes ayant subi et subissant encore des violences de tout genre pour avoir osé aimer «une couleur qui n'est pas la sienne». Un atelier coorganisé par l'ATFD et le Centre d'écoute de violences envers les femmes. Le Black movie, déjà en marche Quant au cinéma, des jeunes ont commencé, voilà peu de temps, à se mettre en réseau afin de porter leur message ralatif aux regards des uns sur les autres, s'élevant contre toute forme de discrimination raciale. Des expériences courtes, originales et narratives ayant, en plus, une valeur sociologique, ont ainsi vu le jour. Arrivera-t-on à encourager un Black movie, à l'instar de celui qui existe aux USA ? En collaboration avec les ciné- clubs de Tunisie, une semaine de films maghrébins sera organisée pour discuter de l'Image portée par le cinéma maghrébin sur sa propre minorité noire, à travers les films suivants : Terre d'Afrique de Hamadi Essid, Barg ellil de Ali Labidi, Siestes grenadines de Mahmoud Ben Mahmoud, Stambali de Nawfal Saheb Ettaba', Peaux noires, masques blancs de Frantz Fanon, Ombres blanches de Saïd Ouled Khelifa et Un soir de juillet de Raja Lamari. L'espace Aire libre, animé par Mahmoud Chalbi, sera aussi dans le mouvement avec l'exposition «1 pro noir ». « Etre noir-e dans la Verte » se termine le 20 octobre « mais je ferai en sorte que cette réflexion ne s'arrête pas avec ces rencontres. Des dates phares et symboliques reviendront nous rafraîchir la mémoire dont le 23 janvier (1846) qui est la date de l'abolition de l'esclavage par un décret beylical de Ahmed Bey, distinguant ainsi la Tunisie comme le deuxième pays au monde à avoir aboli l'esclavage», précise Zeïneb Farhat. Le reste de la saison artistique Outre ces rencontres du mois d'octobre, l'espace El Teatro nous propose une saison pleine de créations et de rencontres. D'abord, la primauté des deux albums de Bendir Man et de Baâziz qui seront sur la scène d'El Teatro les 24, 25, 26 et 27 octobre autour d'une rencontre musicale baptisée «Dorénavant, tout sera comme avant». Pour le mois de novembre, on retrouvera la nouvelle création de Atef Ben Hassine, Nicotine. En marge des Journées théâtrales de Carthage, El Teatro nous sort ses anciennes créations filmées qui y seront projetées. Toujours pour le mois de novembre, une rencontre autour de Edward Saïd est également prévue. Plein d'autres créations nouvelles, dont Ma fleur, mon quartier de Nawfel Azara, Stand-by de Saber Weslati et Moez Gudiri, la reprise du Fou de Jobrane, Question de vie de Nawfel Azara et de Taoufik Jebali et surtout le grand événement, attendu par tous, qu'est la nouvelle création de ce dernier, Klem Ellil, zéro virgule..., sont prévues pour le mois de mars. Les rencontres de danse pour le mois d'avril, ainsi qu'une création signée Noâman Hamda, les rencontres annuelles des petites formes théâtrales «courtes mais bonnes», sont comme d'habitutde programmées pour le mois de mai ainsi qu'une nouvelle création de Monôm Chouayet, «Un riche et trois pauvres». Ce n'est pas peu...