C'est un vrai délice littéraire que ce recueil de nouvelles, troisième ouvrage du genre à l'actif de l'auteur. Rien d'étonnant, donc, à ce que certaines d'entre ces nouvelles aient été adaptées au cinéma, en courts-métrages. Il faut croire que l'absurde, dans la littérature, a décidément la peau dure. C'est un thème, en effet, qui reste très prisé depuis le milieu du XXe siècle à ce jour par les écrivains. Très prisé mais, en réalité, pas toujours réussi. L'exercice ne se prête pas aisément au souhait. Il y a loin entre vouloir et pouvoir. D'ailleurs, nombre de romanciers se sont essayés à l'absurde pour vite l'abandonner, faute d'une réelle imagination. Il importe, donc, à cet égard, de rappeler ce qu'en disait Camus, le précurseur, dans le Mythe de Sisyphe : «Ce qui est absurde, c'est la confrontation de ‘‘l'irrationnel'' du monde et de ce ‘‘désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme''». C'est que l'homme ne dit jamais ‘‘Pourquoi est-ce que c'est arrivé?'', le malheur, chez les autres, s'inscrivant comme dans la logique des choses, mais dit toujours ‘‘Pourquoi moi?''. Vanité?... Mais bien sûr : l'homme, face à son malheur, a toujours l'impression qu'il est le seul à endurer son sort tragique, que tous les autres baignent dans le bonheur. D'où ce besoin de clarté qui mugit telle une protestation : pourquoi moi, pourquoi est-ce que ça n'arrive qu'à moi, pourquoi pas les autres aussi? Chez maints existentialistes, l'absurde est souvent d'ordre dramatique. Puis, il y eut d'autres qui, la vie n'ayant aucun sens à leurs yeux, ont donné à l'absurde un caractère ouvertement burlesque. Lassaâd Ben Hçine s'inscrit clairement dans le registre de l'absurde-burlesque. Certes, ses personnages sont des victimes, elles essuient un sort assez cruel qui fait qu'au moment où elles cherchent à se libérer, elles ne font qu'aggraver leur situation. Un adage tunisien résume fort bien leur situation : «Trop de malheurs font rire». Dans ce sens, on va dire, très honnêtement, que Lassaâd Ben Hçine excelle dans l'absurde-burlesque. Il n'est pas permis, en fait, au journaliste de dévoiler la teneur d'un ouvrage, mais on va déroger un moment à la règle tant on ne résiste pas à la tentation de rapporter cette petite histoire intitulée : «Illusion d'une nuit d'amour». C'est une prostituée qui exerce bel et bien dans un lupanar. L'amour, pour elle, étant un métier qui ne lui apporte nul plaisir, elle décide un jour de partir loin, poussée par le désir de rencontrer le vrai amour. Elle est dans un hôtel chic. Elle voit arriver un homme avec journaux sous le bras et dont elle subodore un grand intellectuel. Il lui plaît. Elle va à sa rencontre, prend place à sa table et engage la discussion avec lui. Puis, dans sa volonté de lui prouver qu'elle ne cherche pas l'argent mais la compagnie, elle lui offre à boire, ensuite elle lui offre, à ses propres frais, de passer la nuit dans l'hôtel même. Il accepte. Sauf qu'à la dernière seconde, sur le pas de la chambre d'hôtel, deux hommes, surgis d'on ne sait où, les interpellent. Et celui qu'elle a pris pour un grand intellectuel se tourne vers les deux hommes : «Arrêtez cette femme! Elle fait du racolage public...». L'absurde, au fond, nous pousse à nous poser plusieurs questions : est-il permis de rêver? Faut-il se contenter de ce qu'on est, de ce qu'on a, sans jamais chercher à s'améliorer? N'est-il pas légitime d'avoir des ambitions sans courir le risque de se heurter à un malheur supplémentaire? Bref, la vie est-elle aussi juste envers les uns que les autres? De Camus, Sartre disait : «Il a une vision du monde profondément pessimiste qu'il appelle : absurde». Car, moins dramatique, Sartre lui-même, dans Le Mur, s'est passionné pour l'absurde-burlesque, ces situations qui font que nous allons à contre-courant des choses au moment même où nous croyons marcher dans leur sens. Pessimisme ou burlesque, l'absurde est aussi ridicule que la vie. (*) 24 nouvelles en arabe littéraire. 170 pages. Edition Masciliana.