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Au seuil du théâtre postmoderne
La trêve, de Salha Nasraoui
Publié dans La Presse de Tunisie le 28 - 05 - 2010

Ecriture déroutante, Trêve est surtout une écriture de la déroute; déroute et banqueroute. Est dramatisée, ici, une rêverie du «désastre». C'est très noir et désespéré et désenchanté. Tout, ici, est emporté par un tsunami de la déchéance et de la dégradation ; tout est comme balayé par des vents d'inauthenticité absolue. Rien, dit la pièce, n'est beau, tout est laid ; rien n'est bon, tout est mauvais. Contre le réel sans horizon, il n'est de refuge que dans les fantasmes. Dès lors, la pièce se voit être structurée doublement : au niveau des faits qu'on peut désigner de «réels» et au niveau des fantasmes (des personnages). Maintenus le long de la pièce, ces deux niveaux, réel et fantasmatique, génèrent l'ambiguïté et sèment l'incertitude. Du coup, le noir du monde et de la vie se trouve être dit avec des accents de distante ironie.
On rit beaucoup dans Trêve. C'est dû à ce décalage, à cette distance, à tous ces kilomètres que l'esprit doit parcourir, à tout ce désert, à tout ce Sahara qui existe entre le réel et les phantasmes.
Trois îles
Quand commence la pièce, on hérite déjà comme la protagoniste du drame, une certaine hôtesse de l'air (Nadra Toumi ; juste!), de tout un passé, de toutes ces années de mariage avec l'homme qu'elle avait cru aimer et que, manifestement, elle n'aime plus depuis longtemps. Dans le foyer, la mésentente est totale et irrémédiable.
Scènes de ménage sur scènes de ménage. Et c'est vrai qu'on voit souvent se métamorphoser ici la scène de théâtre en scène de ménage. Un motif itératif, qui revient comme un leitmotiv : l'épouse reproche tout le temps à son chimiurge de mari(.............) d'être l'esclave de son père, de n'avoir aucune personnalité, aucune autonomie de caractère. Le père du mari (impressionnant Ridha Boukadida !), un vieux colonel de l'armée, désespérément intempestif et inactuel, proprement anachronique, s'immisce toujours dans la vie du couple, mais finit immanquablement à son corps défendant par semer la zizanie. Envahissant, sa présence est oppressante, tyrannique et despotique. Il n'écoute personne, s'écoute. Il vit dans ses souvenirs, n'ayant aucune conscience des changements advenus du monde. Il ne croit pas d'ailleurs aux changements. La vie, c'est sa vie, celle qu'il connaît, avec ses principes à lui, ses opinions et convictions à lui. Il s'est construit un monde, s'est enfermé dedans et depuis il n'est jamais sorti. Finalement, ce monument d'égoïsme, cette montagne, cette Himalaya de la sotte suffisance et de l'autisme réussira à se faire détester par sa belle-fille et même par son fils. Le drame, la pièce tout entière, nous montre le processus de cette détérioration des rapports entre les personnages. Ce drame, il faudra bien le croire, est une tragédie de l'impossible communication entre les êtres. Les gens, ces gens sont des îles. Ce sont des étrangers les uns pour les autres. On peut bien sûr s'aimer, croire s'aimer ; on peut même dire qu'on s'aime à l'extrême, jusqu'à s'oublier soi-même et son propre nom, on peut (qui pourrait donc nous en empêcher ?) ; mais, tout cela sera vain, en pure perte : il n'y a pas d'entente, et il n'y en aura pas. Même pas dans le crime, même pas dans le parricide, ce couple-là ne pourra communier. L'absence de communication empêche cette petite communauté de communier ou même de coexister en paix. L'incommunicabilité pourrit les relations humaines, empêche les sentiments amoureux ou affectueux de s'épanouir. Elle introduit à l'indifférence puis à l'irrespect et au mépris, à la détestation et la haine, et enfin aux désirs de violence et de meurtre ; bref, elle mène à tout. En tout cas, elle empoisonne la vie. Elle empêche de vivre. Ces gens-là, monsieur, ne vivent pas entre eux ; ils ne coexistent même pas : ils survivent. Ces gens-là sont trois îles qui surnagent.
Cette infinie tristesse
Quand le drame commence, les relations entre le couple d'une part et le couple et le père d'autre part sont déjà largement corrompues. On est même à un stade très avancé dans le processus de ce pourrissement des relations. En fait, il n'y a plus rien qui puisse être entrepris pour sauver cette famille ou pour remettre de l'ordre dans le désordre qui caractérise maintenant toute la vie de ces êtres évoluant perpétuellement dans les tourmentes. En vérité, il n'y a plus rien à faire. C'est cette impossibilité de changer quoi que ce soit à la situation qui fonde le tragique de ce drame. Les jeux sont faits ; tout a été dit ; il n'y a plus rien à dire : «tais- toi, mais tais- toi donc!, dit la belle-fille à son beau-père qui est un bavard invétéré. Ferme-là, grand Dieu ! Pas un mot.  Ne dis plus rien !». Et l'on a droit à toute une scène où est revendiqué le droit au silence de l'autre. La parole, les discours, les mots n'ont plus de sens.  Ils sont sans effet et n'y peuvent absolument rien. Le pouvoir des mots (J.P.Sartre), où le voit-on donc, le pouvoir des mots ? C'est une duperie, une fumisterie. Le langage ne peut rien contre les faits dès que faits justement. Il est impuissant. C'est pourquoi aucun discours n'a barre sur le passé. Que peuvent les mots contre l'hérédité, contre l'éducation d'un père de mœurs martiales et de principes militaires? Si le fils du colonel est ce qu'il est, sans personnalité, sans volonté, effacé, s'il est vraiment «homme sans qualité» (R. Dumésil), ce n'est qu'en raison de sa généalogie, de sa descendance d'un père qui se veut forte personnalité, fort-en-gueule—du feu naît, n'est-ce pas, la cendre et de la roche le sable. Cependant, il n'y a pas que le seul chirurgien qui ne peut plus changer. Les deux autres personnages, l'hôtesse de l'air et son beau-père, ne peuvent, eux non plus, ni changer leur caractère (on ne se refait pas) ni leur situation (c'est ça l'aliénation!). En d'autres termes, ils sont obligés de subir leur destin, car il s'agit bien de destin. Destin fatal. Donc tragique.
Tous ces destins se font échos, se regardent aussi comme chiens de faïence. Ils s'influencent, de cette mauvaise influence qui fait que chacun veut faire plus de mal que l'autre à l'autre. Il s'agit d'être toujours plus cruel et toujours plus violent et toujours plus agressif : il s'agit d'être tout ça qui est résumé dans ces deux expressions ne cessant obsessionnellement de revenir surtout dans la bouche du père et de la femme : «être fort» et «être homme». Mais tout ça n'est que méchant théâtre et vilaines simagrées. La vérité est que tous de se sentir faibles, sans force, dévitalisés, ruinés de l'intérieur, vidés de toutes substances, écœurés de tout, démunis de tout désir impétueux de vivre. La vie pour eux est ailleurs. Le bonheur n'est pas de ce monde (le colonel, le père, le dira haut et fort) ; en tout cas, pas de leur monde. Il y a donc cette face de la réalité, car il s'agit bien de réalité. Ce monde réel où les personnages évoluent est triste, infiniment triste, car relevant de l'ordre réel. Il se présente comme un univers de frustration, de désirs castrés et refoulés. Il est le règne de la mal joie, le domaine des misères morales et spirituelles. Dans Trêve, ce monde est continuellement fui parce qu'il est invivable vu sa tristesse et sa détresse infinies. Il sera donc comme doublé par un autre monde de nature phantasmatique.
Phantasmatiques
Cet univers phantasmatique est un domaine où les véritables désirs se font entendre. Ici se dit ce qui ne peut se dire, et se fait ce qui ne peut se faire. La force de ce texte à deux voix (il est écrit en duo par R. Boukadida et S. Sahraoui) est de nous théâtraliser à l'envi tout cet univers phantasmatique. Il nous donne à entendre tout ce monde inaudible, mais qui grouille et gronde intérieurement. Ce sont pour tout dire les monologues intérieurs qui nous sont livrés et spectaculairement, c'est-à- dire emphatiquement et ostentatoirement restitués. On peut enfin avoir accès à un monde qui passe habituellement pour théâtralement peu accessible : les pulsions, les élans, les tentations, les propulsions, toutes les formes de la pensée intérieure, tout ce qui s'agite dans l'esprit des personnages ne sont pas faciles d'accès scéniquement parlant (à moins de recourir à des artifices et à des certains effets techniques— ce qui n'est pas du tout le cas ici). Il faudrait se garder de croire que ce sont là des «tropismes» à la Sarraute, Nathalie Sarraute, c'est-à-dire ces sensations fugaces et fugitives, discontinues et indistinctes. Bien sûr, il arrive qu'on nous fasse part de certaines sensations de ce type, mais ce n'est qu'à titre exceptionnel. Ce qui prévaut surtout ce sont tous ces mouvements de pensée intérieure et de désirs inavouables.
Il n'y a aucun doute que cet univers phantasmatique ne figure la scène imaginaire : c'est, en vérité et en toute précision, ce qu'on appellerait volontiers «l'autre scène».
Il s'agit de ce théâtre intérieur qui reste inconscient ou à la lisière du conscient. C'est un monde discret et secret, en principe inaudible et invisible. Il relève de l'indicible.
Toute la pièce est portée par cette intention : rendre dicible l'indicible et visible l'invisible. Dans ce dessein, tout le discours de Trêve s'attache à extérioriser l'intérieur, déplier le pli. Cette aventure qui tente de mettre le dedans dehors n'est pas en soi une démarche moderne : depuis toujours, le théâtre s'est voulu cet art qui tente de visualiser l'invisible, de dire l'indicible et d'exprimer l'inexprimable. Ceci pourrait-il signifier que l'écriture de cette pièce relève de l'écriture traditionnelle?
Baroco et crépusculaire
La physionomie assez moderne de l'écriture de Trêve et due vraisemblablement au fait qu'elle fait coexister les deux mondes sus-indiqués, soit le monde réel et le monde des phantasmes. Cette coexistence, il est vrai, ignore les frontières qui pourraient exister éventuellement entre les deux mondes au point que le spectateur ne manque pas de les confondre. Il n'est pas sûr, en effet, qu'il puisse reconnaître les éléments appartenant à l'un ou l'autre des deux univers. D'autant plus que rien ne vient signaler le basculement d'un monde à l'autre, rien, pas même le rythme, la manière de dire ou de jouer, pas même les lumières, le bruitage ou la musique, rien. Voici le traitement dramaturgique de cette forme de coexistence : on installe la scène ou le tableau ou parfois le monologue (il y a beaucoup de monologues dans la pièce), le discours phantasmatique se déploie tout son soûl puis sans ménagement aucun, sans préparation ni introduction, le discours réel, du réel, se déclenche et se développe.
Il arrive—il n'y a donc pas de règle en la matière— que l'ordre de succession s'inverse et l'on voit le réel devancer les phantasmes. C'est donc à nous spectateurs qu'incombe la tâche de distinguer ce qui ne se veut pas être distingué. Il n'est cependant pas sûr que nous puissions toujours y arriver. Or ces possibles confusions sont délibérément voulues sinon consciemment entretenues. Elles semblent répondre à l'évidence au projet du texte qui s'ingénie à nous dérouter, à nous pousser hors la ligne droite de la route du discours tenu. Cette incitation à la confusion s'inscrit donc dans toute l'esthétique d'une écriture qui se donne pour fin d'entretenir la déroute.
Parmi les effets probables sur le spectateur de ce parti pris esthétique : la surprise et l'étonnement. En effet, le plus souvent, on est pris par traître et l'on se trouve conduit dans l'univers phantasmatique sans s'en rendre compte. Ainsi advient-il qu'on prenne le réel pour l'imaginaire et l'imaginaire pour réel (enfin, ce qui est donnée conventionnellement, selon les termes du contrat initial et préalable passé entre le spectateur et la fiction : c'est qu'il importe de ne jamais perdre de vue que ce n'est là évidemment qu'un réel de fiction, donc un réel lui-même imaginaire; ainsi posé, on aura par conséquent deux degrés de fiction ; mais n'est-ce pas le fonctionnement presque habituel de tout drame ou plus généralement de toute fiction?). Or, ce chevauchement, ce flux et reflux des vagues de la réalité et des vagues du désir, des vagues venant des désirs, ce chevauchement entre les ordres, cette confusion enfin entre les domaines et les règnes est bien sûr loin de relever du classicisme qui, lui, cultive la clarté en toute chose. Ici, on est dans quelque forme d'écriture baroque. Il suffit d'écouter la langue, rien que la langue dans laquelle se déploient les dialogues et les monologues pour s'en convaincre : tous les niveaux de langue sont convoqués, tous les registres les plus disparates sont employés. Ainsi évolue-t-on des vocabulaires et constructions les plus populaires ou familières, voire carrément vulgaires, aux expressions et structures soutenues, soignées et raffinées, tout littéraires.
Cette exploitation des niveaux de langue les plus contrastés et éloignés et leur investissement donnent lieu à des énoncés et parfois à des discours surprenants. C'est conjointement lourd et léger, mastoc et aérien, pesant et enlevé. De la sorte, la langue employée est, peut-on dire, très sédimentée, comportant plusieurs couches et strates. Généralisé à tous les personnages, ce mode d'utilisation de la langue confère aux discours et dialogues une dimension «décadente» et crépusculaire, un côté fin de siècle : or, s'il est vrai qu'on n'est qu'au début du siècle, pour la pièce, on est en fin de quelque chose, en fin de règne d'un certain ordre. Ce qui ne règne plus à l'évidence, c'est l'homme, c'est l'humain, c'est-à-dire, affirme le drame, l'amour. Les gens ne s'aiment plus. Ils ne savent plus et peut-être ne peuvent plus s'aimer. Je reçois Trêve comme ça : discours sur l'impossible amour. Entre père et fils, entre homme et femme. Il n'y a plus de relations d'amour, mais des relations de force. C'est triste, c'est désespéré ; mais, justement, Trêve est d'une désespérance absolue. Il n'y a plus lieu pour l'amour. Le monde n'est plus qu'un immense non-lieu pour l'amour.
À l'horizon ? Rêves de meurtre, désirs inavoués, inavouables de parricide. Si ce n'est pas désespérant, ça ! C'est très noir, franchement désespéré et désenchanté. Comme un soleil noir, le désir se lève et brille de tous ses rayons ténébreux sur tout, surtout les désirs de meurtre, de violence et de saccage. Qu'est-ce de toute façon un monde où le fils rêve de tuer le père pour être et exister et respirer (la respiration est très thématisée dans cette pièce à allure esthétique décidément décadente : on entendra respirer en off, entre les scènes)? Qu'est-ce rêver de tuer le père, si ce n'est venir à souhaiter détruire l'ordre symbolique, les valeurs ? L'assassinat du père, c'est le désir profond de prendre sa place, de le remplacer, de s'affirmer en infirmant son existence, de le nier et de le faire disparaître. Mais est-ce possible, peut-on tuer le père ? On ne tue pas le père, on ne le peut. On le tue, le voilà qui ressuscite : on verra donc le père en fin de pièce, à la dernière image, là, encore vivant toujours vivant. La tuerie impossible du père, c'est l'impossible révolution, absolue et radicale. C'est l'impossible soulèvement général contre les ordres, contre l'ordre : contre la Loi. Loi du passé, surtout, celle-là qui figure l'héritage, le patrimoine. Au fond, qu'est-ce qui serait vraiment impossible dans Trêve ? On l'a déjà dit, redisons-le : c'est le changement, c'est le pouvoir de changer. Le médecin chirurgien a beau faire, il ne fera jamais que reproduire le père (et en plus dégradé, comme les couleurs des photocopies !). Vieilles idées ? Et alors ? Tout n'a-t-il pas été dit depuis la nuit des temps ? Reste la façon, la façon de dire ce qu'on a à dire. Qui ne sait qu'il y a mille et une façons de dire ce qui est à dire et de dire ce qui a été dit depuis toujours? La façon de Trêve est ingénieuse et assez inédite qui juxtapose conjointement deux univers pourtant contradictoires et antagonistes, aucun n'excluant l'autre. Aucun esprit dialectique n'anime cette juxtaposition. N'étant pas dialectique, le drame n'est plus gouverné par l'esprit (logicien) du logique. En écriture à la frontière du moderne et du postmoderne, elle ne regarde pas vers le logos mais au chaos, un certain chaos/on ne s'étonnera dès lors pas de voir la tuerie du père suspendue, mais comme suspendue dans l'air, l'air qu'on respire, là, comme une menace, et comme une promesse.


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