Par Hamma HANACHI Jeudi 15. Moments palpitants sur Arte, la retransmission en direct du concert célébrant le 70e anniversaire du chef Daniel Barenboïm. Coïncidence navrante, douloureuse, l'homme qui a passé sa vie à concilier par la musique les deux positions palestinienne et israélienne et, au moment où il joue au profit d'une association caritative, il est secoué par une énième crise dans la région. Israël lance l'opération «Pilier de défense» à Gaza. A Berlin, une salle archicomble, au clavier, Barenboïm interprète le Concerto n°3 de Beethoven, le Concerto n°1 de Tchaïkovsky et les Dialogues pour piano et orchestre d'Elliott Carter, décédé récemment. Pour diriger son orchestre de la Staatskapelle, le chef charismatique a cédé sa baguette à son ami de longue date, le grand chef indien Zubin Mehta. Le public jubile dans le silence et applaudit dans la chaleur. Pendant ce temps, à Gaza, les missiles s'abattent sur la population, bruit de guerre, morts de civils sans défense. Tragédie. Humanisme de la musique d'un côté, barbarie des armes de l'autre. Ethique et musique. Dans les coulisses, Zubin Mehta, directeur à vie de l'Orchestre philarmonique d'Israël donne son avis sur l'engagement de Barenboïm. Ce n'est pas un homme politique, dit-il, c'est un musicien engagé, un citoyen qui s'investit dans la vie sociale, qui s'oppose à toute forme d'injustice, il est à ce titre, comparable au violoncelliste Pablo Casals fervent opposant de Franco, il est le digne héritier du chef Toscanini, anti-fasciste notoire. Barenboïm joue un rôle primordial sur la scène musicale, il apporte sa contribution à la politique et à la morale, un musicien exceptionnel qui a fait de son art un instrument de compréhension entre les hommes. Sur ce chapitre, il occupe une place de premier plan. Meilleur exemple : la création, avec son ami palestinien Edward Saïd, de l'Orchestre Divan occidental-oriental qui réunit de jeunes musiciens palestiniens et israéliens. Sur l'offensive contre Gaza, Zubin Mehta est sans concession. C'est le même prétexte, toujours à portée de main, arguant une rupture de trêve ou des engagements non tenus, Israël invoque des attaques et répond par une vaste opération militaire sanglante. Il faut que l'opinion internationale sache pourquoi les Gazaouis lancent ces roquettes, c'est un cri de détresse. Ils sont en état de survie, sans aucun droit, soumis à des humiliations inacceptables, leurs conditions sont tellement pénibles, déplorables qu'ils viennent parfois à manifester leur colère, leur rage, d'autant plus qu'Israël viole quotidiennement leurs droits, attaque et tue dans l'impunité totale. * * * * * * * Le concert dédié à Barenboïm est enrichi par la rediffusion de deux portraits du maestro réalisés par Paul Smaczny. Extraits. 2005, concert à Ramallah dédié à la liberté en Palestine. Meriem Saïd, la femme d'Edward, rayonnante. Connaître et comprendre l'autre pour faire tomber les barrières...Il n'est pas nécessaire d'être toujours d'accord tout le temps, la coexistence peut être harmonieuse, mais il faut que chaque membre soit respectueux de l'autre et le traite comme son égal...A Tel Aviv, ils croient que notre démarche est contre-productive, illusoire, ils ne veulent ni connaître, ni comprendre. Le chef Pierre Boulez. Barenboïm accomplit une grande œuvre humaniste, sa musique est au plus haut point de la perfection, alors que tout l'univers garde les mains fermées, sans la moindre tentative pour arrêter la tuerie au Moyen-Orient, lui, avec toute son énergie, se jette à l'eau et essaie de réconcilier les deux peuples, il a plusieurs longueurs d'avance sur les sociétés au Moyen-Orient. Après plusieurs péripéties, autorisation, annulation, le concert à Gaza se tient en mai 2011. Barenboïm qui est palestinien et israélien, «Nous sommes là pour vous témoigner notre amitié». Un geste incroyable qui force le respect et donne de l'espoir. Retombées de presse, critiques, agitation. L'ambassadeur de Palestine en Allemagne, qui a préparé le concert, reçoit une missive d'un Gazaoui qui le comble de plaisir. «Nous sommes comme des animaux en cage, nous recevons régulièrement des vivres et des médicaments du monde entier, jamais on ne nous a envoyé un message à contenu sentimental, artistique. Avec ce concert, Barenboïm s'est adressé à nous comme des êtres humains». * * * * * * * On saluera la saine colère de Daniel Cohn-Bendit à l'adresse de Catherine Ashton, chef de la diplomatie européenne et aux députés du Parlement. Il vise là où ça fait mal : l'indifférence des élus vis-à-vis des raids meurtriers d'Israël. L'écolo européen s'insurge et dénonce l'ignoble attaque de Gaza, une philippique digne du brillant contestataire qu'il fut. Il condamne le silence des eurodéputés et pour donner plus de résonnance à son discours, il cite une phrase appropriée de Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne: «Au Moyen-Orient, il n'y a pas un Etat de trop, il manque un Etat».