Par Soufiane Ben Farhat On le sait depuis toujours, l'économique détermine le politique. Et la crise mondiale, conjoncture économique extrême, n'échappe guère à la règle. Le journaliste français Jean Quatremer exagère peut-être, mail il n'en dit pas moins une vérité : Le "President of the United States (Potus)" est devenu le "President of the European Council (Potec)", écrit-il sur son blog Coulisses de Bruxelles. A la veille de l'adoption par les Vingt-Sept d'un fonds de gestion des crises, le chef de la Maison-Blanche a harcelé téléphoniquement les dirigeants européens: pour Jean Quatremer, "Herman Van Rompuy n'est plus le président du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement. Il a été victime d'un coup d'Etat mené avec succès par le Président américain qui a décidé de prendre les affaires des Européens en main, lassé de voir ces sales gosses incapables de se mettre d'accord pour sauver leur monnaie unique au risque de déclencher un tsunami susceptible de ravager la planète…L'intervention salvatrice d'Obama dans les affaires européennes montre à quel point l'Union est en panne, faute de dirigeants d'envergure capables de percevoir l'intérêt commun et non pas seulement leur intérêt national. Leur faiblesse, leur absence de vision à long terme, leur lâcheté politique se retrouvent évidemment multipliées par Vingt-Sept à Bruxelles. La médiocrité ne peut produire que de la médiocrité." En fait, la crise grecque et les crises européennes en gestation sont intervenues juste après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Lequel traité a abouti, d'emblée, à des nominations peu significatives à la tête des instances communautaires européennes. A Washington comme ailleurs, on en a conclu que les grands Etats européens ont encore une décisive voix au chapitre. Ajoutons-y le modus operandi du Président Obama. Les assertions de ses détracteurs ne sont peut-être pas dénuées de sens. Ils ressassent volontiers que le Président américain dialogue plus volontiers avec les ennemis de l'Amérique qu'avec ses amis. Les relations transatlantiques s'en ressentent. L'ancien numéro trois du Pentagone sous George W. Bush, Eric Edelman, va encore plus loin: "Cette administration voit les Etats-Unis comme une puissance en recul dans le monde, et elle semble penser que le seul pôle qui décline plus vite encore est l'Europe" (cité par Le Monde du 17 mai 2010). Les considérations personnelles y sont peut-être pour quelque chose. M. Obama ne cultive guère d'affinités personnelles avec quelque dirigeant européen. Ses origines ethniques, son éducation et son parcours personnel lui ont fait arpenter le monde autrement que via Paris, Londres, Rome ou Berlin. Obama semble par ailleurs privilégier les relations bilatérales USA-Russie. Jusqu'ici, cela a débouché sur des décentrements sensibles sur la question notamment du bouclier antimissile américain en Europe et l'accord Start sur les arsenaux nucléaires. Or, évidence navrante, Moscou est toujours mis au ban des enjeux et pactes d'intégration européens. Et forcément l'Europe-club-fermé-aux-Russes en paie le lourd tribut. Tout accord américano-russe, et c'est la tendance dominante du moins à court et moyen termes, se fera par-dessus la tête de l'Europe qui semble se complaire à être amputée de Moscou. Pour l'heure, au niveau transatlantique, le ton d'entente cordiale n'exclut pas le désamour courtois. Et puis l'Amérique a encore du temps avant de retrouver ses marges de manœuvre habituelles. Encore lui faudrait-il se débarrasser des lourds fardeaux des guerres d'Irak et d'Afghanistan. Elle s'y est empêtrée jusqu'au cou et elle n'en finit pas de supporter les effets pervers, économiquement, humainement, géostratégiquement. Avant de pouvoir rentrer chez elle, l'Amérique a besoin de se réconcilier avec le reste du monde. Cela se fera en partie aux dépens d'une certaine Europe qui ne s'est guère embarrassée, il y a peu, des déboires de l'Amérique.