Le sommet des Amériques de Trinidad et Tobago, le premier de Barack Obama, restera peut-être dans les annales comme celui de la réconciliation entre Washington et le sud du continent américain. En proposant une nouvelle donne à un continent sur lequel Washington a perdu beaucoup de son leadership, le nouveau président américain cherche à rompre avec les multiples défaillances de l'administration Bush, et semble même vouloir engager un nouveau partenariat Nord-Sud en Amérique, tout en partant sur de nouvelles bases, et ce quitte à remettre en question des décennies d'incompréhension. Avec les retrouvailles avec Cuba, le dialogue avec Chavez, l'humilité et le partenariat comme clefs de cette nouvelle donne continentale de Washington, Obama vise-t-il seulement à réconcilier les Amériques ?
Nul doute, le leadership américain a été mis à mal dans le monde entier au cours des désastreuses années Bush; et le continent américain, son « pré carré » traditionnel, ne fit pas exception. Même les relations entretenues avec le traditionnel allié canadien furent secouées ! Mais c'est surtout en Amérique du Sud que l'image du « Big Brother » américain cherche à montrer un nouveau visage aux partenaires continentaux, et à adoucir une politique de plus en plus perçue comme intrusive par les opinions publiques autant que par les dirigeants des pays de la région.
En Amérique, Obama essaie de trouver un terrain favorable à la mise en place des instruments de sa « puissance intelligente », à l'écoute de ses partenaires tout en assumant son leadership. L'initiative la plus spectaculaire de l'ex-sénateur de l'Illinois, dans ce sens, fut celle du souhait de faire évoluer les relations avec Cuba, marquées par un demi-siècle de défaut de dialogue. Le nouveau président américain a ainsi proposé de lever les interdictions de déplacements de citoyens américains à Cuba, premier geste de ce type depuis les initiatives manquées de Jimmy Carter au cours des années 1970. En revanche, et bien qu'elle soit actuellement absente du dialogue dans le cadre du sommet des Amériques, Cuba pourrait faire son entrée prochainement, à condition de montrer des signes de bonne volonté, selon les termes de Barack Obama. Ce qui signifie d'ailleurs que les Etats-Unis ne seraient plus, à terme, hostiles à une modification en profondeur de la relation qui a marqué les deux entités depuis la révolution castriste.
La levée de l'embargo et, plus encore, le rétablissement des relations diplomatiques, seraient un véritable événement historique. Mais sur ce point, Obama devra convaincre les sceptiques –ô combien nombreux- à Washington, séduire les lobbies influents, et surmonter les préjugés sur un statu quo qui date de plusieurs décennies. Un vrai test politique pour le président américain, qui ne semble cependant pas l'effrayer.
Parallèlement à la question cubaine, l'une des principales erreurs de Washington au cours des dernières années fut de ne pas prendre la mesure des évolutions politiques en Amérique latine. Et l'un des principaux défis de l'administration Obama va consister à s'adapter aux évolutions politiques d'un sous-continent qui a vu, au cours des dernières années, les partis aux accents anti-américains progresser de manière décisive et remarquable. Washington sera donc attendue sur ses résultats plus que sur ses intentions, et pour y parvenir, la nouvelle administration n'a pas d'autre alternative que d'accepter la présence sur son continent de régimes socialistes.
Le Venezuela pourrait, à cet égard, servir de référence, et en signalant que ce pays a fait des progrès, Obama a envoyé un message très clair à Hugo Chavez, héraut de l'anti-américanisme aux assemblées générales de l'ONU : l'Amérique a réellement changé. Reste à savoir jusqu'à quel point Chavez et autres Morales, Lula et dans une moindre mesure Bachelet, seront sensibles à cette invitation au dialogue. De toutes les manières, le message est passé, et Obama a bien compris que le « retour » de Washington dans cette région passe avant tout par une grande opération de repentance auprès des plus sceptiques.
La nostalgie de Moscou Produit de la longue rivalité américano-soviétique, la guerre froide avait certes contribué aux malheurs de l'Amérique latine. Le souvenir du soutien accordé par Washington aux sombres dictatures militaires semblables à celles du Brésil, de l'Argentine, du Guatemala et du Chili, installées au pouvoir suite aux renversements brutaux de régimes civils démocratiquement issus des urnes, est encore vivant. Il a fallu attendre le mandat unique du président Jimmy Carter (1976 - 1980) pour que le tir soit relativement rectifié. Une tendance qui n'avait pas d'ailleurs trop perduré. La Politique conduite actuellement par Moscou actuellement en Amérique Latine est le fruit d'une aspiration ancienne : asseoir le statut de la Russie en tant que grande puissance mondiale et d'un pays promoteur d'un monde multipolaire. Au fond, il s'agit d'une approche géopolitique (avec une composante économique) dirigée contre les Etats-Unis, plus que d'une simple politique économique ayant des objectifs stratégiques. Les dernières initiatives que Moscou a prises dans la région reflètent des capacités et des ambitions accrues. On a ainsi assisté à des visites au niveau présidentiel et ministériel entre la Russie et les pays latino-américains; à la signature portant sur d'importantes ventes d'armes, sur les échanges commerciaux et sur la coopération énergétique; à des vols dans la région de bombardiers russes; à des exercices navals conjoints avec le Venezuela; ou encore à la visite de la flotte russe au Nicaragua et à Cuba. Tous ces évènements ont conduit les observateurs à s'interroger sur les véritables intentions russes. Le Pentagone n'a pas tiré la sonnette d'alarme, mais Washington a envoyé à Moscou le secrétaire d'Etat adjoint pour l'Amérique Latine afin d'en savoir davantage sur les motivations exactes du Kremlin. En outre, en 2008, et pour la première fois depuis plusieurs années, le Pentagone a déployé la Quatrième Flotte dans l'Atlantique Sud. Une mesure qui ne peut que rafraîchir le souvenir de la guerre froide… Pékin est aussi de la partie ! Derrière le retour de Washington en Amérique latine se dessinerait également la perspective d'une « confrontation inévitable » avec Pékin. En effet, la Chine a sans doute profité du déclin des Etats-Unis dans la région pour s'imposer progressivement, en particulier depuis 2004, et devenir un partenaire économique et politique de premier plan pour de nombreux pays de la région. Le Venezuela, le Chili et le Brésil voient ainsi aujourd'hui dans Pékin un substitut à Washington dans les échanges commerciaux et un allié politique peu regardant. A tel point que, du fait de ses investissements massifs, certains n'hésitent pas à constater ironiquement que la Chine pourrait presque prétendre à un siège au sommet des Amériques !
En tout état de cause, le retour de Washington en Amérique latine risque rapidement de se solder par un nouveau terrain de confrontation politico-commerciale avec Pékin. Loin déjà d'être sereine, la région supporterait-t-elle encore toutes ces tensions ?