L'Espagne est parmi les pays dûment représentés aux Journées du cinéma européen, avec notamment Pain noir de Agustí Villaronga — le film aux 9 Goyas en 2011—, projeté lundi dernier au Colisée. Dans cette œuvre remarquable, le réalisateur dessine le portrait sombre de l'Espagne d'après la guerre civile, à travers l'histoire d'une famille de villageois catalans, installée dans la propriété d'un riche bourgeois, et composée de la grand-mère, de tantes et d'autres petits enfants, dont Andreu. Les hommes sont soit morts soit disparus. Tout se passe dans le regard d'Andreu. Il est témoin de la mort tragique de son ami Culet et de son père. C'est un meurtre, tranche la police qui finit par accuser le père d'Andreu. Les deux hommes faisaient partie du camp «rouge» pendant la guerre, ils partagent trop de secrets et d'affaires douteuses. Au fil des événements, le regard de l'enfant passe de l'horreur à l'émerveillement, au questionnement, devant le monde des grands qui l'intrigue et qui s'impose sans merci à sa fragilité et à son innocence. Il incarne l'espoir d'un avenir meilleur, à l'issue d'une guerre aux multiples ravages, mais il va, au final, choisir le chemin que lui ont tracé les erreurs des adultes. Une manière pour le réalisateur de donner son point de vue sur l'Histoire de son pays. On récolte ce qu'on sème, semble-t-il annoncer, et l'après-guerre est tout aussi dur que la guerre. Il produit les mêmes victimes et épargne ceux qui ont les moyens de tout acheter. En usant d'un langage classique, au niveau de la réalisation et de l'écriture, Agustí Villaronga propose une œuvre bien ficelée, avec de magnifiques plans fixes et des mouvements de caméra fluides, sans trop d'émotion. Il propose une adaptation libre entre deux œuvres majeures de l'écrivain catalan Emili Teixidor: Pain noir et Portrait d'un assassin d'oiseaux. Ce choix se justifie, sans doute, par le fait que l'univers de ces romans colle à sa vision de la guerre civile espagnole, mais surtout à la manière dont son pays a évolué pendant l'après-guerre, en s'enfonçant plus dans ses maux. Le livre dénonce, en effet, l'absence de dialogue et de justice sociale, chose qui a conduit à plus d'horreurs et d'incompréhensions. Dans le film, Andreu grandit entouré de secrets, de tabous et de non-dits, qui ne l'aident point à comprendre et à assimiler le contexte dans lequel il se trouve. Une image symbolique du pays où, à force de cacher les réalités amères, ces dernières prennent d'autres formes pour pouvoir apparaître au grand jour. Les détails honteux du passé resurgissent sous forme de mythes ou de contes, les meurtriers deviennent des fantômes et les victimes des anges. Ainsi, tout est fait pour que les choses ne changent pas, mais les personnages sont rattrapés par leur passé. Le pire, c'est que les oppressés choisissent de fermer les yeux, voire d'être complices, pour quelques miettes de pain noir, au grand avantage des riches. Bien entendu, les premiers sont les seuls à payer le prix. Après une longue carrière, entre fictions, téléfilms et documentaires, Agustí Villaronga, fidèle à sa démarche et à son parcours, signe une œuvre qui revient sur une étape charnière de l'histoire de son pays pour dénoncer l'injustice et l'intolérance, des maux dont aucune époque n'est totalement épurée. Mais, comme le dit la grand-mère d'Andreu : «Il faut qu'il sache d'où il vient»...