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OR NOIR
Notes libres
Publié dans Le Temps le 17 - 11 - 2011

Par Hélé Béji - Depuis longtemps, nous savons que le cinéma n'est pas seulement un art, mais la catharsis moderne d'une prise en compte totale de la psyché collective, dans son horizon mondial. Le cinéma, dès sa création, a porté le fardeau de l'universel, avec un agrandissement visuel qui lui donne une emprise irrésistible sur tous les peuples, sans distinction, mettant en lumière nos existences dans leur recoins les plus obscurs, rendant sonores, colorées, musicales, charnelles nos passions intimes, rendant visible notre monde invisible. C'est la force du cinéma.
Il élève le metteur en scène à la stature d'un démiurge où, en l'espace de deux heures, la vie remonte ses pans de beauté et de vérité dans la vision soyeuse et illuminée d'un écran géant. Aucun art contemporain n'atteint si vite les foules en nombre et ne remue autant les cœurs en profondeur. Le cinéma est l'art démocratique par excellence. Il est celui où la pensée, même la plus savante, peut être ressentie par les moins instruits. C'est un art sophistiqué qui fait passer les choses les plus compliquées dans un format simple et vivant, comme dans un moulin à blé où les grains durs sont broyés pour donner une farine fine prête à fournir un bon pain pour tous les organismes.
C'est ce qui se passe avec Or Noir. Le problème le plus aigu de notre temps, celui de l'inquiétude produite par le retour du religieux sur la scène du monde, par l'étrangeté anachronique des Arabes, par leur quant à soi farouche et leur résistance à se perdre dans les masses modernes, par leur refus de disparaître dans le courant glacé de l'anonymat, devient au contraire, sous le regard d'un cinéaste français, cela même qui signe, non leur identité rebelle (ce qui serait somme toute banal) mais le devenir d'une autre humanité possible, autre que celle dictée par les rigueurs du temps. L'Arabe est comme le témoin de ce que l'homme moderne lui-même, l'occidental, éprouve dans le désarroi de sa propre identité, et ne retrouve plus une image satisfaisante de soi ; la plénitude lui manque, sa propre opulence le dépossède du sens de sa vie, les divertissements qu'il s'est offerts dans le progrès creusent davantage le mal de l'ennui, de l'indifférence, et de la mélancolie. Jean-Jacques Annaud, lui-même soucieux de cette lente dépréciation du monde et ne s'y résignant point, est parti explorer cet horizon au visage auguste et au port altier qu'est le peuple immobile des déserts d'Arabie. Est-ce un nouveau voyage en Orient, dans la grande tradition des artistes qui nourrissent leur œuvre d'images fortes et sensuelles, de rêveries réveillant une inspiration languissante, de romantisme où le moi se déploie dans une démesure que ne lui permet plus sa société, encombrée de rites grossiers ? Est-ce cette poétique illusion de sortir de soi et de se perdre dans l'autre, ce vertige de l'âme moderne toujours en quête de nouveauté, de magie, cet exil exotique pour fuir le quotidien, comme un nouveau paradis artificiel qui vous arrache à l'existence prosaïque pour vous rendre plus heureux ?
Non, Or Noir n'est pas un voyage en Orient d'où l'on revient chez soi, en Occident, avec une cargaison de curiosités qui meubleront son appartement de collectionneur. Il porte, dans son titre même, non pas la distance entre deux mondes que ni la colonisation, ni le commerce, ni la domination, ni la force, ni la communication n'ont pu abolir, mais le moment dramatique où ces deux mondes se heurtent et se touchent en leur dureté même, comme deux pierres de silex qui se frottent l'une à l'autre pour produire une étincelle. Tout le film est la mise en scène de cette proximité ardente où la richesse, l'or noir, la découverte du pétrole, trésor inépuisable et fabuleux, n'est plus l'enjeu d'un butin de guerre qu'on se dispute pour être le plus fort et le plus riche, mais celui auquel on refuse d'aliéner sa demeure de sable et le pacte d'honneur qu'on a scellé pour la préservation d'un bien immatériel, la terre de ses ancêtres, la religion de ses pères. Derrière la stylisation des personnages, nulle tentative de complaire à une culture qu'on appelle aujourd'hui islamique, mais tout simplement une façon de peindre l'élégance morale de l'humain, derrière les stéréotypes que les civilisations fabriquent pour se repousser et se haïr. Or noir n'est pas un film sur telle ou telle civilisation, supérieure ou inférieure, progressiste ou arriérée, scientifique ou mystique, c'est un conte moderne où, sur le désert offert dans l'étendue de ses particules élémentaires, l'essence des choses vous apparaît plus aisément que dans un monde d'œuvres déjà constituées. Le cinéma donne à ce tableau poudré le mouvement inouï de l'existence intérieure des hommes qui y vivent, où les émotions et les souffrances se détachent dans la profondeur d'un seul regard. Peu de mots, mais des répliques chevaleresques où tout est dit en une tournure, en un geste, en un silence, et où l'humanité se résume à l'application du respect de la parole donnée.
Or Noir est un film sur la sacralité de la parole humaine, et derrière le mot islam, c'est le serment des hommes entre eux qui les préserve de la ruine morale. Le serment lie tous les personnages, serments d'ennemis, serments d'otages, serments d'amour, de mariage, serments de frères, serments filiaux, serments paternels. Tous les personnages n'ont qu'une idée en tête, comment trahir ou ne pas trahir son serment. Il y a ceux qui succombent, il y a ceux qui tiennent. Il y a les faibles, il y a les forts. Et ce tourment de fidélité, pour lequel les hommes vont guerroyer avec leur fougue sans merci, la femme va le mener suavement vers l'apaisement et la réconciliation. A chaque fois, quand le problème est insoluble, l'héroïne intervient en stratège mystérieux du pardon et du sentiment, et produit chez l'homme le ressort du dépassement et la magnanimité.
Mais ce qui aurait pu n'être qu'une fresque tragique, chargée d'une histoire terrible qui vous oppresse le cœur, car le trépas y est présent et la perte d'êtres chers frappe à coups répétés le destin des héros, ce qui aurait pu n'être qu'une orgie de violences cruelles, jonchée de cadavres d'hommes et de chameaux, se déroule sur un fonds de velours doré qui enveloppe les séquences d'une douceur constante, et baigne nos yeux d'un philtre protecteur contre le tranchant des sabres. Dans la beauté épique des combats d'hommes et de bêtes entremêlées, l'art du peintre sculpte non seulement le corps de ses créatures, mais leur souffle arraché à leurs cœurs, leur endurance, leurs étoffes enroulées dans les torsades des bourrasques de sable et de vent, et l'espérance qui les habite jusque dans leurs pieds douloureux avançant sur une dune interminable. Tout ce qui est chargé de gravité se déroule aussi dans le miracle de la légèreté. Ce qui aurait pu être pathétique ne s'alourdit d'aucun pathos. Ce qui aurait pu tomber dans le mélodramatique s'élève au contraire à l'intensité stoïque. Ce qui n'aurait été que désespoir retentit d'une secrète promesse. Ce qui n'aurait été que drame cornélien est parsemé d'humour. Ce qui n'aurait été que larmoyant est force d'âme. Ce qui n'aurait été que combat de ténèbres est échappée de lumières. Ce qui n'aurait été qu'abstrait est sensuel. Ce qui n'aurait été que mystique est esthétique. Même le voile noir de la princesse, qui aurait dû être noirceur austère et image de deuil, scintille d'une transparence brodée qui donne à sa beauté une lueur d'envoûtement.
Or Noir n'est donc pas un film orientaliste, en ce sens qu'il n'est pas une simple évasion dans l'autre, où pendant quelques heures, on aime à s'oublier dans un voyage d'aventures. Il est l'aventure de notre temps, qui laisse l'exploit scientifique et économique en mal de fraternité. Il n'est pas une plate idéalisation de l'autre, dont le prétexte est d'éviter l'effort de le connaître et le comprendre. Il n'est pas le regard de l'Occident sur l'Arabe. Il est le regard intérieur de l'Arabe sur sur lui-même, dès l'instant où il a compris, comme l'a murmuré l'un des héros le plus touchant du film, celui qui porte au plus haut le déchirement entre le savoir et la foi, qu'il faut « refaire l'échiquier » du monde.
Mais ce n'est pas seulement le rêve des autres que le cinéaste a décidé de filmer, c'est le sien. Jean-Jacques Annaud rêve d'une autre humanité, mais en réalité cette humanité est en lui-même. La civilisation qu'il interroge n'est pas seulement celle des Arabes ni des Musulmans, dans leur conservatisme intemporel, c'est aussi la sienne. Il cherche ce qui, dans sa civilisation, a failli, non pas dans la longue histoire de la domination coloniale et de son système d'exploitation des richesses nécessaires, mais dans son rapport à soi. Dans la faillite de la connaissance de l'autre, il y a l'échec de la connaissance de soi. Après le formidable prodige de la conquête de l'Ouest (Far West) et ses éclats de puissance, voilà que du côté du Far East, tout se dérègle, rien ne fonctionne plus. Ni le savoir, ni les armes, ni les chars, ni les blindés, ni l'intelligence, ni la technique, ni le calcul, ni le pétrole. Tout s'arrête et s'enlise dans le désert, tout se grippe et se bloque, tout s'assèche sur une terre qui regorge d'or noir, comme au bord d'une source sacrée à laquelle il est interdit de boire, et dont on n'aura accès ni par la force, ni par la menace, ni par l'argent. Or Noir est l'histoire d'un arrêt de la conquête occidentale du monde, là où gît le cœur de sa puissance de production : l'énergie. L'Occident est empêché de puiser à la source même de sa croissance. En d'autres termes, l'Occident est arrêté dans le ressort même de sa civilisation. Non seulement il est privé de sa source naturelle d'expansion et de sa maîtrise du monde, mais il est menacé dans l'intelligence de sa survie. Bref l'Occident a perdu son intelligence et sa maîtrise du monde.
C'est là que commence le film. Quand la conquête matérielle du monde se heurte à un obstacle qu'elle n'avait pas prévu, qu'elle n'avait pas même imaginé, qui paraît inconcevable : celui d'un vieux prince archaïque du désert, soumis à la fatalité d'une nature aride et cruelle, qui refuse ce qu'aucun homme raisonnable ne refuse, ce qu'aucun homme censé ne repousse : la richesse, la santé et le bien-être qu'on est censé lui apporter. A travers cette folie austère, cette ascèse volontaire qu'aucune âme moderne n'a la force de supporter, cette fierté d'un autre âge dont l'obstination dépasse l'entendement, Jean-Jacques Annaud explore l'image d'une condition humaine intacte, qui est une image intérieure de la sienne. Or Noir est l'histoire d'une épopée qui restitue à la condition humaine une idée d'elle-même qu'elle avait oubliée.
Cette parabole sur la toute-puissance impuissante de la technique, qui, venue à bout des trésors souterrains de la terre par son ingéniosité, se heurte au cœur insondable et buté d'un bédouin pieux et rigide, à la barbe pointue, dont les yeux ont déjà percé le cœur avide de l'autre et de ce fait l'a vaincu, cette parabole est celle non pas de la force de l'esprit sur la matière, de la religion sur le progrès, de la croyance sur la raison, de l'âme sur le corps, de la vertu sur l'argent, elle n'exalte aucune forme de mysticisme illusoire ou de pureté, elle est juste l'épopée de ce qui a disparu de la représentation moderne : la dignité humaine. Par un accent prémonitoire que seule l'intuition d'un artiste toujours en quête de visages fraternels peut expliquer, Jean-Jacques Annaud a forgé une légende dont la dignité humaine est le récit fondamental, juste avant d'être à Tunis le slogan d'une révolte populaire, et le sujet agissant de la Révolution du 14 janvier. Cette coïncidence avec l'actualité, alors que le film se tournait par hasard en Tunisie, par un concours incroyable de circonstances où les dernières séquences ont été jouées par des acteurs en proie au tumulte réel de l'histoire qui faisait irruption dans leur rôle et dans le décor même de la caméra, donne à Or Noir la dimension vécue d'une réalité plus grande que la fiction elle-même. Le scénario de l'artiste apparaît alors comme le grimoire prophétique de l'histoire se faisant, et d'un soulèvement dont le film retrace la geste anticipée sur les sables d'un désert où l'histoire de notre temps est encore en train de se jouer.
Mais précisément, le film est une contre-épreuve de l'actualité. Tout ce qui est déversement de violence, tragédie, croisades séculaires, terrorisme, haines de masses, conflits héréditaires, fanatisme, racisme, ignorance réciproque, malentendus incorrigibles, préjugés sans fin, mépris de l'autre, tout cela cède le pas à un imaginaire où l'entêtement passéiste d'un monde qui ne veut pas changer, l'orgueil ombrageux, la logique anti-scientifique, deviennent sujet du drame, source de poésie humaine. Le jeune héros Auda, compatissant et doux comme le Candide de Voltaire, moderne par la raison, traditionnel par le sentiment, jeté malgré lui dans une guerre qu'il a voulu conjurer par la seule persuasion, par sa bienveillance naturelle, mais sans y parvenir, pleurant chaque vie fauchée à ses côtés contre une cruauté qui lui répugne, se résigne à la guerre à son corps défendant, mais révèle son génie politique au-delà de son courage militaire, dans son sens de l'honneur, son intelligence de conciliation, l'horreur de la destruction et la force morale de surmonter la vengeance pour arbitrer la paix.
Ainsi, on est ici dans une contre-vision de ce qu'a été le destin de l'homme occidental : le meurtre freudien du père. Auda a deux pères. Le fils combat l'un pour honorer l'autre. Auda, guerrier pacifique, va plus loin. Il est un Hamlet moderne où le « to be or not to be » prend une autre dimension. Il pardonne à son père adoptif et restitue à son père naturel le trône de sa souveraineté, le sens et la justesse de son sacrifice. Et, ayant accompli ce devoir auquel sa religion l'oblige comme fils, il surpasse son père dans l'intelligence de la foi que ce dernier lui a transmise, et dans l'interprétation du livre sacré. Dans Or Noir, l'islam, au fur et à mesure du suspense et des rebondissements de l'intrigue, trouve à chaque fois sa vérité historique par-delà les dogmes. Le fondamentalisme est vaincu au nom de l'islam même, dans un combat intime que chaque Musulman, dans le film, règle à sa manière. Mais celui qui y parvient est celui qui approfondit le message dans son sens le plus humain, altruiste, et qui s'appuie sur l'obéissance au père non pour perpétuer un ordre figé contre l'étranger, mais au contraire pour s'élever au-dessus du ressentiment, et l'ayant surmonté, invite l'étranger à la table des négociations, en renversant le rapport de forces non pour dominer, mais pour pactiser.
Jusqu'à présent, dans le monde des images contemporaines et des représentations populaires, le monde arabe et les Musulmans en général ont été l'objet des plus sinistres conceptions qu'on puisse répandre d'une civilisation étrangère : les peurs, les clichés, le harcèlement des médias attisant la haine d'un ennemi terrifiant pour mieux se présenter comme bouclier, l'ignorance de l'histoire, la caricature d'une religion et d'une culture toujours maltraitées par des siècles de domination extérieure et d'oppression intérieure. Tout cela alimente l'idée d'une menace imminente contre le « monde libre », de la part de ceux qui se sentent au contraire portés par un nouveau cycle inconnu de leur histoire. Jean-Jacques Annaud, contre cette vision d'inimitié, fait une œuvre cinématographique sans a priori. Il tente, au rebours du vulgaire, de déchiffrer ce qui précisément reste incompris ou occulté. Il met la beauté de son épopée au service d'une autre vérité possible. C'est le mérite de certains créateurs d'être capables de pénétrer une autre humanité sans la défigurer. Bien sûr, beaucoup d'érudits savent que la perception du monde arabe est nourrie de mensonges et d'approximations hostiles. Mais leur démonstration reste rébarbative, hermétique au plus grand nombre. Au contraire, à travers le personnage d'Auda, le film délivre le spectateur d'un dilemme que la politique mondiale achemine au désastre, tel que nous le subissons dans l'actualité. Auda, noble chevalier dont la magnanimité a conquis les tribus par le sacrifice qu'il consent malgré lui à la guerre, par rage effrénée de paix et par volonté de neutraliser la machine de mort elle-même, est celui qui change un monde immuable sans trahir la foi de ses pères. Jean-Jacques Annaud, par le biais de la sensibilité et de l'imagination, affronte ce paradoxe grâce au mythe de notre temps : le cinéma. Même si on ne sait rien du désert d'Arabie, le titre annonce cette odyssée impossible dont seule la conscience humaine est capable, entre la soumission métaphysique et la volonté de vivre et d'agir. Or noir, film populaire dans sa facture, et aristocratique dans ses intentions, trouve ce langage universel qui n'a besoin d'aucune initiation préalable pour créer une communion immédiate entre des mondes qui, par nature, semblent inconciliables. Il nous captive comme font les contes sur les enfants avant même qu'ils aient appris à parler, en leur racontant des héros simples et vrais à la mesure de leur candeur, ignorants des arrière-pensées des adultes. Il nous rend à l'innocence enfantine où le travail du rêve devance l'exercice de l'intelligence. Au cinéma de Jean-Jacques Annaud, le cœur des gens devient brillant comme celui des enfants.
H.B.


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