Le grand public ne connaît sûrement pas le Pr Alain Rénier. Pourtant, cet homme a passé pratiquement dix ans de sa vie à fréquenter régulièrement la Tunisie — il venait ici une semaine par mois — et plus précisément à l'Ecole nationale d'architecture pour transmettre généreusement son savoir, donner des cours et suivre les travaux des étudiants doctorants. C'est à lui que l'Ecole doit la mise en place d'un enseignement doctoral de haut niveau inspiré de ce qui se fait ailleurs et tenant compte de notre sensibilité méditerranéenne. Dans le cadre de la Journée nationale de l'architecture célébrée le 20 mai par l'Ordre des architectes de Tunisie, en collaboration avec l'Ecole nationale d'architecture et d'urbanisme, une rencontre hommage au regretté Alain Rénier, disparu en mai 2005 a été organisée les 20 et 21 mai derniers à la Cité des sciences de Tunis. Rencontre vibrante de témoignages émouvants présentés par les élèves du Pr Rénier, devenus aujourd'hui maîtres-assistants, et par tous ceux qui l'ont côtoyé à l'Enau. Olfa Meziou Baccour a soutenu sa thèse intitulée : «De l'anté projet au processus de conception. Etude de genèse d'une œuvre architecturale, «dirigée, accompagnée», dira-t-elle plutôt, par Alain Rénier une semaine avant le décès de ce dernier. Dans la communication qu'elle a présentée, la voix chargée d'émotion contenue, elle cite plusieurs fragments de son dernier discours prononcé à l'occasion de cette soutenance. Discours qui sonne comme un testament et qui propose un éclairage sur la pensée et les idées phares nourries de sémiotique et du courant structuraliste défendues le long de son parcours de chercheur et d'enseignant par Alain Rénier. «La production architecturale ne consiste pas seulement à faire des dessins, mais à créer des dispositifs de vie», a affirmé l'architecte français. Olfa Meziou continue : «De cette phrase ultime où le bâtiment “fonctionne” lorsqu'il est en interaction avec les gens qui l'utilisent Alain Rénier dira : Je pense qu'elle est aussi première dans la pensée de l'architecte». C'est à partir de cette idée que la question des représentations pratiquées par les architectes sera examinée. Il s'agit en effet de savoir ce qui fait œuvre dans l'objet architectural : le projet dessiné, l'édifice construit ou le dispositif d'habitat». Ali Cheikrouhou était directeur de l'Ecole d'architecture lorsque Alain Rénier a commencé à s'impliquer sérieusement dans la refonte de l'enseignement de l'architecture en Tunisie. Le travail mené par l'architecte français pour lancer des études doctorales ici a débloqué une situation devenue critique avec le temps : le recrutement de nouveaux maîtres-assistants à l'Enau. D'autre part pour Ali Cheikhrouhou, l'architecture ne se limite pas à l'art de créer de belles façades. «Discipline universitaire à part entière, elle doit aussi avoir ses théories et ses doctrines», insiste-t-il. L'architecte et urbaniste va plus loin : «La recherche en matière d'architecture apporte une connaissance scientifique et structurelle permettant d'analyser et de comprendre le processus de conception architecturale : de la genèse de l'idée jusqu'à l'espace habité. Grâce à la recherche, on pourra apprécier la chambre noire du geste architectural, qui n'est jamais anodin. Sa part consciente et sa part inconsciente».