Par Hmida BEN ROMDHANE La visite effectuée par M. Hamadi Jebali en Arabie Saoudite les 17 et 18 février 2012 n'a pas abouti aux résultats escomptés. Nous avons même été humiliés par les commentaires sarcastiques de la presse saoudienne, dont certains n'ont pas hésité à nous affubler du statut peu enviable de «mendiants». Le journal «Arriadh» par exemple, dans son édition du 24 février 2012, n'a pas caché sa «stupéfaction» de la demande de dons formulée par M. Jebali, notant que celui-ci a peut-être cru «ce qu'on raconte en France, que chaque Saoudien est assis sur un puits de pétrole.» Détaillant les engagements financiers de l'Etat saoudien vis-à-vis du pays et du peuple, le journal conclut qu'aucun pays ne peut «octroyer des fonds colossaux sous forme de dons.» Mais contentons-nous de ce commentaire, poli comparé à d'autres plus insultants. On ne sait rien des montants demandés par M. Jebali aux Saoudiens ni de leur nature (prêts ou dons). Mais quels que soient ces montants et leur nature, ils n'étaient en fait que le prétexte pour s'en prendre au représentant d'un pays, symbole du «printemps arabe», qui inquiétait déjà au plus haut point l'Arabie Saoudite dont la presse n'a pas raté une belle occasion de se défouler. Pour l'Arabie Saoudite, le «printemps arabe» est à la fois une bonne chose et un danger à maintenir loin des frontières du pays. Une bonne chose parce qu'il permet aux groupuscules wahabites d'exploiter l'état d'instabilité et de liberté consécutives à l'effondrement de certains régimes pour diffuser un islam rigoriste et rétrograde, celui que la famille régnante avait accepté d'en faire une religion d'Etat dans le cadre de l'accord conclu avec Mohamed Ibn Abdelwahab au XVIIIe siècle. Une bonne chose aussi parce qu'il déstabilise les régimes détestés par la famille régnante, à l'instar du régime syrien dont l'opposition bénéficie d'un soutien saoudien et qatari multiforme. Mais ce «printemps arabe» est aussi un danger, compte tenu de la «contagion» qui a commencé à se répandre et qui a atteint des endroits aussi proches de l'Arabie Saoudite que le Bahrein par exemple, sans parler des troubles du Yémen, pays frontalier avec un contentieux historique assez important avec Riadh. En hiver 2011, début du «printemps arabe», les dirigeants saoudiens et leurs pairs dans les autres pays du Golfe se sont trouvés face à un choix difficile : courir le risque d'une contagion et avoir à gérer des troubles sociaux dont l'issue pourrait être dangereuse, ou alors consentir d'énormes « sacrifices financiers » pour s'assurer la paix sociale et l'obéissance civile. C'est ce second terme de l'alternative qui fut choisi. C'est ainsi qu'en 2011, le royaume saoudien a fortement augmenté sa contribution à la Caisse des compensations. Des produits comme la nourriture, le carburant et le logement ont été lourdement subventionnés, amenant l'Etat à augmenter ses dépenses de 129 milliards de dollars, soit plus de la moitié des revenus pétroliers du pays. Cette forte augmentation des dépenses a amené les analystes du Fonds monétaire international à conclure que l'Arabie Saoudite, pour équilibrer son budget, a désormais besoin de vendre son pétrole à un prix variant entre 80 et 85 dollars le baril. On est loin des 25 dollars qui suffisaient largement il y a seulement quelques années à équilibrer le budget de l'Etat saoudien. Cette nouvelle situation imposée à l'Arabie Saoudite par le «printemps arabe» a eu pour conséquence immédiate le changement d'attitude de Riadh au sein de l'Opep. En effet, depuis des décennies, l'Arabie Saoudite, compte tenu de l'énormité de sa production et de la solidité de ses relations avec le camp occidental, gros consommateur d'énergie, a toujours joué au sein de l'Opep le rôle d'une force particulièrement influente qui tire les prix du baril vers le bas. Maintenant, «la colombe de l'Opep» est devenue «un faucon» qui se place à côté de l'Iran et du Venezuela pour tirer les prix vers le haut. Les Saoudiens n'ont aucun autre choix quand on sait que, selon l'Institut de finance internationale, l'Arabie Saoudite, en cas de poursuite du niveau et du rythme des dépenses actuelles, ne pourra équilibrer son budget en 2015 qu'avec un baril à 115 dollars... Cette nouvelle situation inédite dans laquelle se trouve l'Arabie Saoudite va, de toute évidence, l'amener à utiliser toutes ses ressources diplomatiques et son poids dans la région pour maintenir en l'état les sanctions contre l'Iran et, si possible, les aggraver encore plus. Car, pour les dirigeants saoudiens, la menace immédiate ne provient pas d'un Iran nucléaire, mais plutôt d'un Iran libéré des sanctions étouffantes qui le paralyse. Un Iran libéré des sanctions inquiète au plus haut point les pays du Golfe, et en particulier l'Arabie Saoudite. Une telle perspective ouvrira la voie aux investissements occidentaux en Iran, ce qui lui permettra de moderniser les moyens techniques d'extraction des champs pétroliers, d'augmenter fortement sa production. Cela se traduirait nécessairement par une baisse du prix du baril, c'est-à-dire par des problèmes d'équilibre financier des budgets des monarchies du Golfe. C'est dans un tel contexte caractérisé par une véritable panique financière que s'est inscrite la visite de M. Hamadi Jebali en Arabie Saoudite. Si l'armée de conseillers du gouvernement avait toutes ces données, peut-être le programme de la visite à Riadh en février dernier et son ordre du jour auraient été différents. Toujours est-il que la presse saoudienne n'a pas raté alors l'occasion de se défouler avec virulence. Le moins impoli, nous l'avons dit, était le quotidien «Arriadh» qui avait intitulé son article «La Tunisie que nous aimons». De la part de ses amis, la Tunisie apprécierait plus le respect que l'amour. On comprend que nos amis saoudiens soient incapables de nous aider financièrement, mais on comprend moins cet empressement à nous envoyer leurs prédicateurs wahabites, d'autant que nous n'avons ni l'envie ni le besoin d'apprendre les techniques de mutilation génitale féminine, ni celles de l'allaitement des adultes.