Ce troisième recueil de la poétesse est un lac de tendresse, de sensibilité, d'amertume et de larmes bues. Comme pour ne pas effrayer les mots. Les usagers de la plume aiment généralement s'emparer du mot exactement comme le boxeur de son gant qui, au fond, n'atténue en rien la force de frappe. Atteindre la cible et faire du mal, voilà, en somme, l'objectif. Qui, en littérature comme sur le ring, ne peut se prévaloir de la force de frappe passe pour ainsi dire inaperçu ; vain et inutile. Aussi, chez maints poètes, le mot a-t-il souvent le même impact qu'une pierre, qu'une catapulte. On pense un peu à Sghaier Ouled Ahmed, par exemple, dont les mots sont d'une telle force, d'une telle cruauté qu'ils donnent la chair de poule. Curieusement, Emna Louzir atteint et fait du mal, mais avec des mots feutrés, veloutés, câlins. Non pas qu'elle ait peur des mots, mais pour les mots. A telle enseigne qu'elle semble parfois survoler les mots, planer en-dessus. Car, en fin de compte, nous sommes tous mortels alors que les mots restent. Alors pourquoi crier son mal dès lors qu'on peut se faire entendre sur simple gémissement ? En effet, Emna Louzir gémit. Et dit : «Ils ont détruit ma maison/Qui abrite les histoires de mon aïeul Ils ont détruit ma maison/Qui garde nos contes d'hier Sur le sofa dormait mon père/Dont ils ont par terre jeté l'oreiller Et foulé sous leurs pieds/La rose de la paix La rose de la paix/Qu'a plantée ma mère Ils ont détruit ma maison/Sur les fenêtres de laquelle J'ai tissé mille et un rêves Ils ont détruit ma maison/Pour construire leurs ponts Sur mon enfance Ils ont pris ma maison/Mais n'ont pas démoli ma mémoire Qui, un jour, hurlera à leurs visages». Et voici Sabra à qui est dédié le recueil : Dans la nuit/Marche Sabra Et sur Sabra/Marche la nuit Ici est née Sabra/Mais là-bas, ses rêves Sabra chante les étoiles Mais jamais les étoiles n'ont chanté Sabra Les talons de Sabra/Ont ensanglanté le macadam Et le vent pleura/ L'abîme de Sabra (...) » Ce recueil a eu le privilège d'être présenté à un public italien lors d'une manifestation culturelle, ce qui lui a valu d'être traduit de l'arabe par le poète Giuseppe Goffredo, également préfacier de l'ouvrage. (*) Bilingue : arabe et italien. Ed. Arabesques. 170 pages. 12 DT