“Je suis passée de ma solitude à ma solitude, entre l'une et l'autre solitude coule un poème infini Ces deux rives ou visages d'une solitude tantôt étrangère à elle-même, tantôt faisant corps avec l'autre pour devenir le même désarroi qui unit Emna à Sabra et qui est le véritable auteur de leur histoire commune. “Sabra c'est moi” pourra dire Emna “Emna c'est moi” pourra penser Sabra dans son incommensurable solitude. Un engagement qui ne résulte pas du conformisme usité propre à de telles prises de position. Il n'est pas le fruit du hasard, non plus. Ces deux créatures étaient appelées à se rencontrer… puisqu'elles sont faites l'une pour l'autre. Et pourtant leur fusion demeurera toujours furtive comme si leur corps, leur essence n'avaient aucune consistance, aucune matière et l'espace–temps qui devrait les réunir n'a jamais pu être conçu et, encore moins, fixé. “Je ne suis jamais vue dans les miroirs du Mur je ne suis jamais vue dans l'ombre de tes yeux. Reste que lorsque j'ai rencontré Sabra marchant dans la nuit j'ai compris alors que je n'avais pas été conçue pour me voir”. Quelle terrible déclaration d'amour fou. Déclaration d'échec aussi malgré l'infini don de soi. Leur rencontre est quelque part la mise à mort de l'une. L'autre, la meurtrière sera à son tour assassinée. Car “Sabra n'est pas faite pour la passion et la passion l'a tuée”. Les autres, les hordes d'ogres inconnus, les soldats du dernier ordre apocalyptique se sont contentés de détruire sa demeure. Ils ont anéanti son histoire, piétiné les fleurs de la paix que sa mère avait semées. Moncef Chabbi, l'éditeur, dit ceci : “Le soir où j'ai ouvert ce livre, je ne l'ai plus lâché avant d'en avoir lu toutes les pages. Quelques idées à propos de la poésie tunisienne en général et la poésie féminine en particulier, me sont venues à l'esprit. J'avais comme l'impression que cette dernière voguait au-dessus du lot, ces derniers temps. Mais je préfère laisser de tels jugements aux professionnels en la matière ? » C'est une façon très délicate de louer le talent et la valeur de la poétesse sans faire dans le superlatif. Il nous semble quant à nous que la première impression que nous insuffle la première rencontre avec la poésie de Emna Louzyr est une sorte de tristesse toute en dentelle qu'on prendrait pour une première caresse d'amour sur le visage de l'autre où ni la main qui caresse ni le visage aimé n'ont de réelle existence. C'est un souffle léger. Pas court mais léger, si léger qu'on en oublie de souffrir.